Pour la rétrospective de l’artiste, la Kunsthaus de Zurich propose une sélection d’œuvres issues de collections européennes.
ZURICH - Si les posters de Georgia O’Keeffe (1887-1989) tapissent les murs des bureaux, des halls de réception ou des chambres d’étudiants aux États-Unis, l’œuvre de l’artiste américaine reste méconnu en Europe. Une première sur le Vieux Continent, la rétrospective de la Kunsthaus de Zurich a pour vocation de réhabiliter le peintre à travers 74 œuvres qui retracent les diverses périodes de sa vie. Comme le rappelle Bice Curiger, commissaire de l’exposition, la réussite professionnelle de Georgia O’Keeffe est injustement attribuée à l’imposant Alfred Stieglitz (1864-1946), le premier à exposer dans sa fameuse Galerie 291 la jeune artiste qu’il épousera par la suite. Si elle a en effet bénéficié de son soutien, Georgia O’Keeffe vivait déjà de son art avant de rencontrer Stieglitz. Autre vision erronée, l’interprétation de ses œuvres par les critiques et ses camarades artistes de l’époque. La vision réductrice de ces derniers reste emblématique d’un monde de l’art encore dominé par la gent masculine, qui a choisi de voir dans ses toiles une certaine idée de l’abstraction illustrant le subconscient féminin, une femme peintre ne pouvant produire qu’un art forcément sexué et érotique ; c’est d’ailleurs l’interprétation freudienne de ses larges tableaux de fleurs qu’O’Keeffe rejettera sans détours. La Kunsthaus propose donc de contourner la complaisance de ce mythe de Pygmalion créé par l’histoire de l’art et d’explorer l’œuvre sans idée préconçue.
À son arrivée à New York en 1913, l’artiste originaire du Wisconsin se laisse emporter par le tourbillon de la ville moderne et les « discussion sur des problèmes sociopolitiques, l’émancipation de la femme et l’avant-garde artistique ». En témoignent les quelques tableaux de gratte-ciel ou l’éclatant Séries 1, No. 4 (1918) de ses débuts. C’est à partir de 1924 qu’elle se consacre presque exclusivement à la représentation tout en contradiction des fleurs, où les visions microcosmiques élargies envahissent les toiles : « La plupart des gens de la ville sont si pressés, ils n’ont pas le temps de contempler une fleur. Je veux qu’ils la voient, qu’ils le souhaitent ou non. » L’empreinte visuelle de la photographie reste indéniable, et particulièrement celle esthétique de Paul Strand ou d’Edward Steichen, dont les prises de vue de roses ou de fleurs de lotus datant de la Première Guerre mondiales deviennent des motifs abstraits. Mais l’abstraction ne représente pas pour O’Keeffe l’antithèse de la représentation, elle dira même : « La peinture objective n’est pas bonne si elle n’est pas bonne d’un point de vue abstrait. » Elle était particulièrement intéressée par l’exploration des modes de représentation, car elle cherchait la meilleure façon de « remplir l’espace d’une belle manière ».
O’Keeffe trouvera sa dernière inspiration dans les larges étendues désertiques du Nouveau-Mexique, qu’elle découvre lors d’un voyage en 1929. En 1946, après la mort de Stieglitz, elle se détourne définitivement de la mégapole new-yorkaise pour s’ancrer dans le désert qu’elle ne quittera plus jusqu’à sa mort en 1986.
Jusqu’au 1er février 2004, Kunsthaus Zurich, Heimplatz 1, tél. 41 1 253 84 84, tlj sauf lundi 10h-21h, 10h-17h du vendredi au dimanche, www.kunst haus.ch. Catalogue en anglais et en allemand.
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L’abstraction selon O’Keeffe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°181 du 21 novembre 2003, avec le titre suivant : L’abstraction selon O’Keeffe