L’univers sombre et très iconique de Robert Longo prend possession du Mamac de Nice, où une violence sourde et latente se répand en douceur
NICE - S’il est une caractéristique capitale de l’art de Robert Longo, certainement est-elle la production et l’entretien d’un impact… visuel tant que mental. La rétrospective portant sur trente ans du travail de l’artiste (1979-2009), accueillie par le Musée d’art moderne et d’art contemporain (Mamac) de Nice, en atteste au long d’un parcours où tout concourt, dans les œuvres comme dans leur mode de présentation, à rechercher un effet maximal sans jamais dévier vers le trop. Ce qui n’est pas la moindre de ses réussites.
Les questions d’échelle et de technique n’y sont pas pour rien, qui dès 1979 et ses premiers Men in the Cities, devenus depuis des œuvres-cultes, voient Longo opter pour l’usage du dessin au graphite – pratique alors fort peu en vogue –, de très grand format qui plus est ; une manière de maximiser… l’impact de ces corps ployant sous l’effet d’on ne sait quel coup. Dans le musée, tout est fait pour concentrer le regard sur les œuvres sans dilution ni tentative de fuite, grâce notamment à une modification de l’éclairage, rendu plus chaleureux, et à une obturation complète des ouvertures donnant sur l’extérieur.
S’enclenche alors un récit nullement narratif, qui tient dans un collage – presque un montage – d’œuvres variées où prédomine le dessin, accompagné de travaux moins connus. À l’instar de Combines and Object Ghosts, assemblages du début des années 1980 réunissant des éléments dont l’hétérogénéité constitutive délivre un discours à l’écriture volontairement inachevée (Sword of the Pig, 1983 ; We Want God, 1983-1984). À l’instar également des drapeaux américains en bronze noir mat (Black Flags, 1989-1990), pensés à une époque où le gouvernement américain fit voter une loi interdisant de brûler les bannières. L’un d’eux, planté dans le sol, fut inspiré à l’artiste par la forme d’un cyprès dans un cimetière italien.
L’impression de récit vient aussi de la très forte empreinte cinématographique, lisible tant dans l’accrochage que dans les œuvres. Notamment dans les séries de dessins des années 2000, où requins mâchoire grande ouverte, champignons atomiques, planètes incandescentes ou vagues géantes – qui souvent adoptent un format écran – sont exécutés presque en négatif ; le noir recouvrant minutieusement la surface voit alors le motif se dégager en réserve.
Chez Longo, qui en 1994 réalisa le long-métrage Johnny Mnemonic, l’« action cinématographique » repose sur l’entretien fondamental du suspens et de la mise en suspension. Ses sujets sont gelés à un moment précis, le plus souvent juste avant le point critique inéluctable, malgré une impression de flottement remarquablement dosée. La mise en scène apparaît ainsi toujours parfaitement réglée, chez un artiste qui sait manier au millimètre près l’image et son impact, en ne laissant jamais place à l’improvisation. Ce dont atteste une exceptionnelle série d’une cinquantaine d’études dont l’accomplissement fournit l’exact modèle des travaux de grand format.
Les effets et la dramatisation de l’œuvre se trouvent en outre renforcés par une manière tout à fait particulière de doser l’inquiétude lorsque tout ou presque se fait menace latente, diffuse… Alors que les images, par leur violence contenue, se chargent d’une séduction qui ne les rend que plus vénéneuses, voire pernicieuses car elle conduit à relâcher ses défenses. Même les dessins figurant d’immenses roses trahissent une inquiétude, tant l’alliance d’un noir et d’un rouge profond, dans cette unique série où le papier est préalablement teinté par la couleur, développe quelque chose d’incendiaire et de potentiellement explosif. À l’image de Death Star (1993), incroyable boule disco constituée de 18 000 balles de revolver, soit le nombre d’homicides par armes à feu recensés aux États-Unis cette année-là.
Par sa gestion de la catastrophe, Robert Longo installe chez le spectateur un inconfort permanent, d’autant plus frappant qu’il devient captivant voire fascinant… lorsque le drame est séduisant.
Commissariat : Gilbert Perlein, directeur du Mamac ; Caroline Smulders, commissaire indépendante
Nombre d’œuvres : environ 100
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
La séduction du pire
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €ROBERT LONGO. RÉTROSPECTIVE, jusqu’au 29 novembre, Musée d’art moderne et d’art contemporain, Promenade des Arts, 06000 Nice, tél. 04 97 13 42 01, tlj sauf lundi 10h-18h, www.mamac-nice.org. Catalogue coéd. Flammarion/Mamac, 176 p., 40 euros, ISBN 978-2-0812-2760-6.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°307 du 10 juillet 2009, avec le titre suivant : La séduction du pire