Tourcoing - On sait peu que le mot sidus, « astre » en latin, se loge dans l’étymologie du mot « désir ».
Que désirer c’est, à l’origine, « regretter l’absence d’étoiles », situation tout particulièrement préjudiciable aux augures et aux marins. On sait tout aussi peu déchiffrer le ciel. Il est devenu un paysage indistinct, que la nuit électrique a de toute façon rendu invisible. Du cosmos, nous serions pourtant les lointains rejetons : la Terre est formée de millions d’astéroïdes agrégés et, selon certaines théories, la vie pourrait y être apparue grâce aux météorites. Depuis 2017, une cellule travaille au sein du projet « Désidération » à explorer ce qui subsiste en nous de cette origine cosmique. Joliment nommée Cosmiel, d’après le nom d’un ange galactique inventé par le savant Athanase Kircher au XVIIe siècle, elle agrège un trio formé par Smith, plasticien et photographe à l’origine du projet, l’écrivain Lucien Raphmaj et l’astrophysicien Jean-Philippe Uzan. Son ambition : offrir aux désidérés que nous sommes quelques voies d’accès aux étoiles, ouvrir des pistes d’action et de réflexion pour renouer avec elles. Ces voies d’accès sont multiples, tâtonnantes, et s’inventent à la confluence de l’art, de la performance, de la science-fiction, de la philosophie et des sciences. Elles vont de l’observation du ciel au télescope à l’hybridation cosmique, soit l’implantation sous-cutanée d’un morceau de météorite, comme l’ont fait les membres de la cellule et certains de leurs complices. Depuis un an, elles s’esquissent aussi au gré de rituels nocturnes que Smith et ses comparses nomment des « mues », et qui se tiennent dans une structure architecturale créée par le studio Diplomates : « le complexe ». Léger, modulable, adaptable à tous types de lieux (espaces d’exposition, scènes, mais aussi forêts et lieux champêtres), celui-ci est exposé jusqu’au 29 avril au Fresnoy dans le cadre de l’exposition « Fluidités, l’humain qui vient ». C’est une structure en métal qui abrite en son cœur une météorite. Elle accueille aussi de larges transats en bois, les « moon beds ». Lors des mues, les visiteurs sont invités à s’y allonger, à fermer les yeux, et à se laisser bercer par la voix de Radio Levania, sorte de pythie incarnée par la performeuse Nadège Piton. À ce rituel de sommeil, succèdent les interventions de divers « Stellatniks ». Écrivains, chorégraphes, astrophysiciens, astronautes, philosophes, musiciens ou chamans, ils sont autant d’intercesseurs entre les hommes et le cosmos, de guides de la désidération. Dans la contemplation des étoiles, s’ouvre alors un nouvel imaginaire du monde et du vivant. Pour Smith, les rituels et récits fomentés au sein du complexe visent, au propre comme au figuré, « à prendre le plus de hauteur possible pour voir les frontières s’effondrer ». Frontières de genre, puisque l’artiste s’inscrit dans le champ du queer et articule le projet à sa propre expérience de la transidentité, mais aussi d’espèce : à l’instar du Chthulucène de Dona Haraway, la désidération invite à nouer de nouvelles alliances, non seulement avec les terrestres (plantes et animaux) mais au-delà, avec le monde extraterrestre. Le sentiment cosmique (comme on parle de sentiment océanique) s’offre ainsi comme une issue possible aux crises que nous traversons. Des crises qu’il ne s’agit pas de fuir dans un ailleurs, mais bien de renégocier ici-bas, en prêtant attention à ce que nous avions fini par ne plus voir…
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Cet article a été publié dans L'ŒIL
n°733 du 1 avril 2020, avec le titre suivant : La piste des étoiles