Orléans bouge : en huit stations, le nouveau tramway propose un parcours ponctué de « folies » contemporaines commandées à des artistes français et étrangers et le Musée des Beaux-Arts montre ses trésors du XXe siècle. Une double réussite.
Au XIXe siècle, quand les grands artistes étaient élèves de Flandrin ou d’Amaury-Duval, il était du meilleur ton, pour faire moderne, de leur commander un « Chemin de Croix » : les stations de la Passion du Christ donnaient lieu à des tableaux somptueux à suspendre sur les piliers des nouvelles basiliques. Aujourd’hui, le prestige municipal ne s’édifie plus à coup de cathédrales : toutes les villes nomment leur plus cher désir « tramway », histoire de ressembler à la Prague d’avant-guerre et à la Strasbourg du temps de Catherine Trautmann. Les édiles continuent donc de commander des stations à des artistes, permanence de vocabulaire bien étrange, dont les historiens d’art mesureront un jour toute la pertinence.
A Orléans, le choix des artistes a été confié à Serge Lemoine et la réussite est exemplaire. Huit fortes personnalités, quatre français, quatre étrangers, ont conçu leurs interventions comme un vrai travail sur le paysage et c’est toute la ville qui en sort rajeunie. Ces modernes « folies », dans la tradition des parcs à l’anglaise du XVIIIe siècle, mais aussi des rouges Fabriques de Bernard Tschumi dans le parc de La Villette à Paris en 1983, secouent la cité. Tout le monde en parle, va les voir, les critique, leur donne des notes à la terrasse des cafés. Le pari est donc plus que gagné. Les Orléanais ont à nouveau regardé leur ville. Elisabeth Ballet a construit une tour couronnée qui rappelle la colonne tronquée du désert de Retz, écho raffiné à l’art du XVIIIe siècle. Jean-Marc Bustamante a édifié une maison « close », une « petite maison », pour employer encore le langage du temps de Louis XV. Son « balcon en forêt », doté d’une balustrade, est peut-être un hommage au grand écrivain voisin, Julien Gracq. Le Suisse Helmut Federle a inventé un pavillon japonais, posé sur un bassin où tournent des poissons rouges empruntés à Matisse. Le Danois Per Kirkeby a réalisé la plus ambitieuse station : un superbe portique de briques, aussi beau qu’un dessin utopique signé de Ledoux ou de Boullée. Le très New-Yorkais Joel Shapiro a superposé deux maisons qui ressemblent aux maquettes des petits trains électriques de l’enfance. Tout concourt à la délectation des « usagers », qui découvrent, en commun, les divers sens du mot « transport ». Il faut s’arrêter, descendre, se promener. On voyage, entre les couloirs interrompus de Laurent Pariente , les tracés arachnéens de Vincent Prud’homme , ou même, seule réserve à l’encontre de ce parcours sans fautes, devant l’édicule en parpaings plaqués en marbre de Jan Vercruysse, qui dialogue de manière assez peu heureuse avec le château d’eau voisin.
Au musée des Beaux-Arts, comme pour accompagner cette fête, les nouvelles salles du XXe siècle montrent des merveilles, d’autres stations inattendues : Gauguin, Picasso, Soutine, des sculptures de Henri Gaudier-Brzeska. Alberola et Garouste y rencontrent Boutet de Montvel et l’extraordinaire Jean Hélion. Si vous n’avez que peu de temps, parce que vous avez voulu faire huit fois le parcours du tramway, entrez un instant pour vous recueillir devant Apollinaire et sa Muse, chef-d’œuvre de Max Jacob. Saint-Benoît-sur-Loire n’est pas loin, où le poète s’était réfugié avant que la Gestapo ne le trouve. Cette gouache de 1910 est une icône sacrée.
Avant de quitter Orléans, un dernier bruit saisi au vol, dans un wagon : l’an prochain, pour les traditionnelles fêtes de Jeanne d’Arc, on dit que la plus jolie jeune fille de la ville, choisie chaque année pour incarner l’héroïne du siège de mai 1429, prendra le tramway, le casque sur les genoux et l’oriflamme au vent.
ORLEANS, Musée des Beaux-Arts, 1, rue Fernand Rabier, tél. 02 38 79 21 55.
A lire : L’art dans le paysage du tramway d’Orléans, ouvrage collectif, textes de Serge Lemoine, Thierry Dufrêne, Marianne Le Pommeré, Guitemie Maldonado et al., éd. RMN, 2002.
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La nouvelle Orléans
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°542 du 1 décembre 2002, avec le titre suivant : La nouvelle Orléans