Paris, Salon de l’auto, 6 octobre 1955. Sous les verrières du Grand Palais, la firme Citroën présente sa dernière création : la DS 19. C’est un véritable coup de tonnerre ! D’abord son allure, incroyable : un profil aérodynamique, des flans lisses, un capot qui plonge au ras du sol, des phares en saillie comme des yeux de grenouille et un coffre qui avale littéralement les roues arrière. Ensuite, une technologie novatrice – direction assistée, freins à disque, et surtout, suspension de rêve –, qui fonde de nouveaux standards de confort et de sécurité. À n’en point douter, la DS 19 est alors la berline la plus avant-gardiste jamais produite. « La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se présente d’abord comme un objet superlatif, écrit Roland Barthes (1). La “Déesse” a tous les caractères d’un de ces objets descendus d’un autre univers, qui ont alimenté la néomanie du XVIIIe siècle et celle de notre science-fiction : la Déesse est d’abord un nouveau Nautilus. »
Ce nouveau « vaisseau » de la route a été imaginé par un designer automobile italien, Flaminio Bertoni (1903-1964), entré chez Citroën en 1932. Sculpteur de talent, celui-ci s’exprime davantage en volume qu’à travers les esquisses. La légende veut d’ailleurs qu’il soit le premier au monde à avoir fabriqué une maquette de voiture : il cisèle ainsi en une nuit, dans un bloc de pâte à modeler, les lignes de la future traction avant, qui sort en 1934. Mais Bertoni est aussi à l’origine du style d’autres modèles emblématiques de la marque aux chevrons, comme la controversée Ami 6 (1961), son dernier projet, ou encore la TPV ou « très petite voiture » au cahier des charges désopilant – « un véhicule pour transporter quatre personnes et 50 kilos de patates à 60 km/h » (sic) –, autrement dit la… 2 CV, lancée en 1948. Or c’est assurément avec le VGD ou « véhicule de grande diffusion », nom de code de la future DS 19, que Bertoni signera son chef-d’œuvre. L’engin recèle pléthore de petits détails exquis : une entrée d’air profilée à l’avant, un pot d’échappement « en queue de carpe », un cendrier-montre (à remonter tous les huit jours)… Idem côté technique, grâce à André Lefèbvre (1894-1964), as de la culasse et ingénieur visionnaire, qui met au point la fameuse suspension hydropneumatique. Les traditionnels ressorts sont alors remplacés par des sphères gonflées à l’azote qui effacent efficacement bosses, nids-de-poule et autres déformations du bitume. Seul hic, la suspension est tellement souple qu’elle provoque parfois des nausées chez les passagers arrière.
750 commandes dans la première heure
Il y a tout juste cinquante ans, ce 6 octobre donc, moins d’une heure après avoir dévoilé le modèle témoin, Citroën enregistre 750 commandes, 12 000 à la fin de la première journée. À la fermeture du Salon, le cap des 80 000 commandes est franchi allégrement. C’est un triomphe. La DS 19
exhibe ses formes en « une » de Paris-Match, aux côtés de celles de Gina Lollobrigida, puis devient rapidement star de cinéma – Les Tontons flingueurs, Du Rififi à Paname, Les Valseuses, Vivement dimanche… –, et même emblème du pouvoir, le général de Gaulle l’ayant choisie comme véhicule officiel de la République. En vingt ans de production – l’ultime modèle sort des chaînes en avril 1975 – et quelque 150 versions différentes, la DS aura fait le bonheur de 1 455 746 propriétaires.
(1) in Mythologies, Le Seuil, 1957.
NB : Un site est dédié au designer italien : www.flaminiobertoni.it
Par ailleurs, deux expositions ont lieu à l’occasion du cinquantenaire de la DS 19 : « Saga d’une voiture d’exception », jusqu’au 1er novembre, à la Cité des sciences et de l’industrie (30, av. Corentin-Cariou, 75019 Paris, tél. 01 40 05 80 00) et « La DS est une œuvre d’art », du 6 au 10 octobre, lors de la FIAC (Parc des expositions, porte de Versailles, 75015 Paris).
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La Déesse du bitume
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°221 du 23 septembre 2005, avec le titre suivant : La Déesse du bitume