Tour d’horizon des pavillons nationaux de la Biennale de Venise qui font preuve d’une belle énergie malgré des fausses notes.
VENISE - Au nombre de 88 et réparties pour 28 d’entre elles dans les Giardini, 26 à l’Arsenal et le reste dispersé dans la ville de Venise, les représentations nationales ont contribué à rendre attractive cette nouvelle édition de la Biennale, même si quelques ratages ou propositions navrantes sont, comme à l’accoutumée, à déplorer.
La plus stupéfiante découverte de la manifestation était à faire au pavillon roumain, entièrement vierge hormis la présence d’une équipe de cinq performeurs. Le duo d’artistes Alexandra Pirici et Manuel Pelmus y orchestre là « Une rétrospective immatérielle de la Biennale de Venise », où les acteurs « rejouent » physiquement, après en avoir décliné le titre, la date d’exposition voire une brève définition, des œuvres ayant marqué l’histoire de la Biennale. En plus de donner corps à des travaux de Cadere, Bacon, Baldessari ou Beuys, ces actions les ramènent à la vie en faisant jouer le registre de l’évocation et de l’imagination. L’exercice est brillant. Non loin de là, l’Autrichien Mathias Poledna contourne habilement la surenchère souvent attendue dans ce genre de rendez-vous avec un court dessin animé de trois minutes tourné en 35 mm. Inventé mais évoquant une production Disney, il a été entièrement et laborieusement réalisé à la main, par une équipe ayant dessiné pas moins de 5 000 illustrations. Imitation of Life surfe sur l’ambiguïté du personnage principal, un âne en uniforme de marin chantant à la manière d’un crooner, alors que derrière lui le décor ne l’est pas moins, virant parfois à l’abstraction en jouant des effets de surface et de profondeur et de la texture de l’aquarelle. Le résultat constitue un beau pied de nez à l’idée de superproduction, par ce réalisateur de films toujours décalés et rigoureux.
De l’humour anglais à la sensibilité libanaise
Au pavillon britannique, Jeremy Deller a lui aussi su déjouer le piège de l’emphase, en restant simplement lui-même. Son exposition « English Magic » prend une fois encore appui sur les racines de la culture populaire et de la société britannique en s’appropriant des événements – le David Bowie de Ziggy Stardust en 1973 par exemple – ou des formes typiques, comme des pierres préhistoriques ou des matrices d’impression des célèbres tissus du XIXe siècle de William Morris. Surtout, il en donne une lecture contemporaine et dépoussiérée en flirtant parfois avec les limites du réel, comme lorsqu’il imagine un musée en flammes dans une vaste peinture murale. Pour les Pays-Bas, Mark Manders faisait une nouvelle fois plonger le regard et l’esprit dans les arcanes d’un monde incertain, où l’onirisme prend le dessus dans un univers ambigu lui aussi, tout en tensions. La puissance évocatrice de ses sculptures très construites – et notamment une série de têtes en argile –, accompagnées d’un coin d’espace semblable à un atelier laissé en suspens, met en branle une puissante intensité narrative jamais véritablement exprimée, qui captive et trouble. Inspiré par un épisode de son enfance lié à la guerre, où un pilote israélien refusa de bombarder une école, Akram Zaatari a livré au pavillon libanais un travail plus personnel et un film touchant, Letter to a Refusing Pilot, où se conjuguent une histoire collective et l’apprentissage de la vie d’un jeune garçon. Encore des films, concoctés par Ali Kazma pour la Turquie, avec un ensemble de nouvelles productions projetées concomitamment. Intitulé « Resistance », l’installation aborde avec la finesse, l’efficacité et le brio caractéristiques de son travail les entraves imposées au corps contemporain dans un but de contrôle, qu’elles soient scientifiques, culturelles, sociales ou physiques, sans hésiter parfois à livrer quelques images difficiles.
Des maux pour le dire
Pour accentuer le mal de mer sur la lagune, il fallait se diriger vers le pavillon des Émirats arabes unis, où Mohammed Kazem enfermait le spectateur dans une pièce circulaire, face à une balustrade façon bastingage et une projection à 360° de la mer à la nuit tombée. L’effet était sensiblement identique à celui d’un trajet en vaporetto en fin de journée, ce qui du moins démontre une attention certaine portée au contexte. Tout aussi ridicule était la proposition chilienne d’Alfredo Jaar avec sa grande maquette des Giardini s’enfonçant progressivement dans un bassin d’eau ; manière sans doute d’évoquer une certaine fragilité autant politique qu’artistique dans ce monde globalisé. Le côté donneur de leçon de l’artiste, de plus en plus affirmé avec le temps, devient là pathétique. En évoquant la politique, il est frappant de voir à quel point ce rendez-vous vénitien revêt encore pour certains pays des contingences de politique intérieure très marquées. Alors que sa présidente, Cristina Fernández de Kirchner – qui en 2011 s’était déplacée pour inaugurer la première représentation argentine –, est de plus en plus contestée pour un autoritarisme qu’elle tente de compenser en adoptant une posture à la Eva Perón, voici que le pavillon argentin a, par l’entremise de la photographe Nicola Costantino, pris cette dernière pour sujet avec une grotesque installation multimédia tentant presque de lui redonner vie, pompeusement intitulée Eva-Argentine. Une métaphore contemporaine. De même au pavillon du Venezuela, à travers des films célébrant l’art urbain et vantant la force d’un muralisme contemporain dans les rues de Caracas, résonnait comme une ode appuyée au chavisme. Le pavillon chinois était encore une fois terrifiant. Sous le titre tout en nuances de « Transfiguration », il était dominé par une vision paranoïaque du monde (Miao Xiaochun), où l’organisation rationaliste chinoise elle-même (He Yunchang) –
curieusement ! – semblait devoir être la réponse à ces dérives ; le commissaire, Dr Wang Chunchen, ne craignant pas d’affirmer dans sa note d’intention que « les artistes chinois sont devenus plus proactifs et capables d’initiatives à cause des transformations de la Chine ».
Autre ratage visible, celui du danois Jesper Just qui s’est littéralement pris les pieds dans le tapis de son pavillon en usant, plus qu’à l’accoutumée, de l’emphase caractéristique de ses films. Appuyé sur l’idée d’un personnage central qu’est la ville connectée avec des personnages qui la traversent, Intercourses ne devient qu’une suite de projections surproduites où prime la technologie, avec de belles images où presque rien ne se passe. Faire parcourir au spectateur un bout de terrain en friche en rasant un mur avant d’entrer dans l’édifice ou traverser une zone de chantier pour en sortir, ne constitue pas vraiment une « chorégraphie de son expérience du pavillon » (sic) mais confine plutôt à un effet maniéré raté. Tant qu’à avoir des idées noires, mieux valait se rendre au pavillon de la Bosnie-Herzégovine où l’humour grinçant de Mladen Miljanovic faisait mouche et merveille avec son évocation contemporaine du Jardin des délices de Bosch. En particulier grâce à ses dessins décalés n’épargnant pas les travers du genre humain, finement incisés sur des pierres normalement destinées à la construction de monuments funéraires. Un regard lucide sur la culture de masse, particulièrement bienvenu dans une Venise saturée tant par les touristes que les visiteurs de la Biennale.
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La Biennale de Venise à deux voix : Des représentations contrastées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°394 du 21 juin 2013, avec le titre suivant : La Biennale de Venise à deux voix : Des représentations contrastées