Des lettrages aux images révélés par les lacérations d’affiches, des soubresauts de la vie politique aux développements de l’Alphabet sociopolitique, sans oublier les rares films de l’artiste : la rétrospective consacrée à Jacques Villeglé par le Centre Pompidou, à Paris, dresse une radiographie historico-sociale du pays à travers les évolutions de son décor urbain.
Votre rétrospective montre, dans les années 1950 et 1960, des compositions basées sur la couleur qui disparaissent par la suite. Avez-vous stoppé ce travail abstrait pour vous concentrer sur des documents figuratifs, ou y a-t-il d’autres raisons ?
La raison en est qu’avant les années 1960 les palissades n’étaient pas entretenues. Les colleurs d’affiches y apposaient donc des papiers monochromes pour séparer les affiches et les encadrer. Avec le ravalement de Paris, elles ont commencé à être nettoyées et on les a progressivement encadrées, surtout dans les années 1970.
Qu’est-ce qui pour vous a marqué dans le changement de physionomie des villes ?
Dans les années 1970, l’affichage était très pauvre. En raison des crises, je pensais même qu’il était en train de mourir. Un changement vraiment frappant s’est produit à la fin des années 1980. Cela a été la décennie « fric », et même en ce qui concerne l’affichage sauvage, on trouvait des formats de 4 mètres sur 3. Les afficheurs y ont vu un péril pour leur métier. Pour la première fois, ils se sont entendus avec les édiles, ont promis de faire des panneaux propres, hors de portée de main, en échange d’une lutte contre l’affichage sauvage.
Cette évolution a conduit à la « décentralisation » qu’évoque la dernière salle de l’exposition ?
Dans les années 1990, à Paris, il n’y avait plus d’affiches. Je suis donc parti travailler à Lille, au Luxembourg, et, à la fin de la décennie, j’ai créé l’Atelier d’Aquitaine, installé près d’Agen, avec lequel j’ai beaucoup modifié ma pratique. Les affiches des années 1990 ont vu éclore un autre système avec la musique reggae, le rap, la techno, qui en généraient beaucoup. L’esprit de mes travaux a changé car auparavant je n’aimais pas qu’on reconnaisse un homme politique ou un slogan. J’ai un peu vécu avec ces rappeurs, et au vu de la dureté de leur métier, je me suis dit que leur nom serait la poésie d’une époque. J’ai donc accepté qu’on reconnaisse leur visage et surtout le nom de leurs groupes, avec pour conséquence une plus grande lisibilité des affiches.
Est-ce que le hasard a été pour vous une donnée importante ?
Ce qui m’importe, c’est la surprise. Je n’emploie pas le mot hasard : je suis un Nouveau Réaliste, je ne suis ni un romantique ni un nostalgique. Un jour, j’ai voulu lire un livre sur le mot hasard, mais c’était tellement mathématique que j’ai abandonné.
Vous êtes célèbre pour votre travail sur les affiches, mais vous avez fait d’autres choses, des films notamment…
J’aurais voulu en faire plus, mais les films demandent du matériel et du personnel, j’en ai donc réalisé peu. J’ai mis 28 ans pour achever Mythe dans la Ville (1974-2002). C’est un film intuitif, mosaïque, une œuvre que j’ai faite au fur et à mesure que les idées venaient et se rajoutaient. Bernard Heidsieck m’avait permis d’utiliser une de ses bandes-son, qui a assuré l’unité du film. Je l’ai toujours remercié pour sa patience.
Il y a aussi ce film fait avec Raymond Hains : des abstractions, des formes de couleur qui s’entremêlent (Étude aux allures, 1950-1954/1960)…
À ses débuts, Hains était photographe et voulait faire des films. Nous avions en tête les couleurs et les découpages de Matisse. Le père de Raymond lui avait donné des verres cannelés. En les prenant dans du papier journal, il a vu l’écriture se transformer. C’est parti de là.
Comment avez-vous développé votre Alphabet sociopolitique ?
Je me suis beaucoup intéressé à la typographie cubiste, que je trouvais toujours d’actualité. Mais il fallait sortir de la typographie pure car sinon on restait confiné dans un milieu. J’ai trouvé l’alphabet sur un mur, c’est une écriture anonyme. Je me suis dit : « cette écriture est pour moi, elle s’appellera sociopolitique ». J’ai eu la chance de recevoir la commande d’une sérigraphie pour une valise des Nouveaux Réalistes. J’ai donc pu essayer cela entre 1969 et 1970. Mais j’ai vraiment développé ces travaux à partir de l’an 2000, lorsque j’ai décidé d’arrêter les affiches. Depuis, je m’occupe de ces signes, je fais des polices de caractères, des livres, toutes sortes de choses, comme ces ardoises couvertes d’inscriptions au correcteur blanc (La Mémoire insoluble, 1998-2008). Il y en a 358 au total, qui reprennent des phrases déboussolantes de toutes les époques, des sentences qui introduisent le déséquilibre dans l’esprit.
JACQUES VILLEGLÉ. LA COMÉDIE URBAINE, jusqu’au 5 janvier 2009, Centre Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue éd. Centre Pompidou, 336 p., 49,90 euros, ISBN 978-2-84426-369-8.
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Jacques Villeglé : « Je ne suis ni un romantique ni un nostalgique »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°288 du 3 octobre 2008, avec le titre suivant : Jacques Villeglé