Numérique - Et subrepticement, de loin en proche, le Covid-19 fit irruption dans nos vies.
L’un de ses premiers effets, et l’un des plus notables, fut de rebattre les cartes du réel et du virtuel, du local et du global. À mesure que le confinement généralisé bornait nos mouvements à l’espace domestique, il ouvrait aussi un vaste champ aux technologies numériques. Avec lui, le ralentissement des activités productives se doublait d’une intensification des flux de données et d’informations. Beaucoup l’ont d’ailleurs pointé : le coronavirus aura marqué une poussée nette du télétravail, de l’éducation à distance, de la télémédecine et des commandes sur Amazon. Il aura consacré les sociabilités numériques des réseaux et des messageries type WhatsApp, devenus les forums où s’organise la vie quotidienne, apéros compris. Il aura aussi offert les conditions d’un plus large assentiment à la surveillance géolocalisée, aux drones policiers, au traçage de masse. La distanciation sociale a en cela accru la proximité digitale et son apprivoisement. Si bien que d’aucuns le décrivent comme l’accélérateur probable d’une transition entamée depuis vingt ans au moins vers le capitalisme numérique… En cela, l’irruption du Covid-19 vient renverser les imaginaires déployés depuis l’avènement d’Internet dans le champ des arts technologiques. Chez nombre d’artistes œuvrant dans cette nébuleuse-là, la notion de viralité est active. Mais elle était jusqu’alors confinée, si l’on peut dire, dans la boîte noire des ordinateurs. Sauf chez quelques rares créateurs engagés dans le champ du bioart, dont Anna Dumitriu et ses vêtements imprégnés d’ADN de bactéries et de maladies infectieuses, la contamination s’y jouait d’abord dans l’espace immatériel des données, et se comprenait comme l’introduction d’un fichier malveillant dans un logiciel. Le virus était informatique, point. De cette contagion-là, l’art numérique s’est très tôt saisi comme d’un imaginaire fécond. Dès 1991, Joseph Nechvatal développe dans le cadre d’une résidence à la Saline royale d’Arc-et-Senans ses premiers virus informatiques pour en sonder le potentiel pictural. La démarche n’est pas sans lien avec l’intérêt porté depuis par nombre d’artistes au glitch,à l’accident, à l’erreur système. En 2001, Eva et Franco Mattes du collectif 0100101110101101.org mobilisent à leur tour ce matériau au fort pouvoir d’évocation. À la Biennale de Venise, ils s’associent aux hackers d’epidemiC pour disséminer un virus informatique et le décliner sur divers médiums, dans une logique d’infiltration et d’activisme. Plus récemment, The Persistence of Chaos de l’artiste Guo O Dong concentrait dans un PC quelques-uns des virus informatiques les plus dangereux jamais créés, et venait pointer leurs effets très réels sur l’économie. Avec succès, puisque l’œuvre a atteint aux enchères la somme de 1,34 million de dollars en mai 2019. C’était il y a un an tout juste donc, et pourtant cela semble une éternité. Depuis, la menace pointée par Guo O Dong a été reléguée loin derrière la réalité biologique du Covid-19. Aux corps vulnérables, contaminables et confinés, à la mise à l’arrêt de l’économie, le numérique est venu s’offrir en palliatif, voire en remède. La cybercriminalité n’a pourtant pas cédé un pouce de terrain, bien au contraire.
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Imaginaires du virus
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°734 du 1 mai 2020, avec le titre suivant : Imaginaires du virus