Paroles d’artiste

Hans Schabus « L’expérience d’un espace partagé »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 15 octobre 2013 - 762 mots

À l’affiche de la galerie Jocelyn Wolff, à Paris, l’artiste autrichien Hans Schabus évoque à travers ses œuvres sa résidence au Sri Lanka.

Une caravane partiellement démontée cachant un espace de repos, un vélo entièrement chromé ayant conjuré la rouille sri-lankaise… L’Autrichien Hans Schabus (né en 1970) s’installe dans la galerie Jocelyn Wolff, à Paris, aidé d’une poétique de l’image et du déplacement qui sait aussi se faire politique.

Plusieurs œuvres contenues dans cette exposition font référence à une résidence que vous avez effectuée l’an dernier au Sri Lanka. Que vous a apporté cette expérience ?

J’ai pris conscience qu’au Sri Lanka il n’y a ni intérieur ni extérieur, mais seulement un espace partagé. À cause du très fort taux d’humidité, il n’est possible de fermer aucun lieu, sauf à finir par avoir beaucoup de problèmes car les textiles et le cuir moisissent, le bois se corrode, les murs transpirent et le fer est mangé par la rouille de toute façon. C’est pourquoi tout est laissé ouvert et reste pénétrable. Le vent peut donc souffler dans n’importe quel coin et constituer avec l’endroit un seul et même espace partagé. Les œuvres exposées ici traitent de cette expérience d’une certaine manière.

Une large part de votre travail aborde l’idée de transit. Pourquoi cette préoccupation s’est-elle imposée à vous ?

Le mouvement implique en général différents modes de perception, tant physiques que psychologiques. Quant à la sculpture, elle demande généralement au spectateur de se mettre en mouvement car il n’y a pas de point de vue idéal comme avec un tableau ou une photo notamment. Dans ce sens, la relation devient un mouvement qui revient à tourner autour, et la sculpture consiste également en un regardeur qui se déplace dans l’espace en collectionnant des souvenirs et un savoir. À l’opposé, une pierre tombale est statique et appartient au sol, comme très peu d’autres choses en fait. J’ai donc plutôt l’habitude de courir pour une chose ou une autre !

Pour « The Sun Highlights the Lack in Each » (2012), une bicyclette a été complètement recouverte de chrome. S’agissait-il de transformer l’objet lui-même en jouant avec une possible ambiguïté de sa fonction ?
Au Sri Lanka, le vélo est le mode de transport usuel. Les bicyclettes sont généralement couvertes de rouille et seules les jantes reflètent un peu le soleil car les freins en nettoient et polissent constamment l’intérieur, ce qui empêche la rouille de s’étendre. Et comme le chrome signifie la luminosité, particulièrement au Sri Lanka où il est aussi associé à la durabilité, j’ai pensé procéder à une finition inversée d’un vieux vélo rouillé. J’ai entièrement démonté la bicyclette et remonté l’ensemble après chromage. Le vélo dans son entier est donc devenu une sorte de miroir, ce qui, en un certain sens, le rend invisible. Plutôt, nous voyons simplement le manque d’un environnement qui constitue la forme d’une bicyclette, car elle se fond dans son propre environnement. J’ai plus tard voyagé avec sur la principale route côtière, afin de montrer à la Biennale de Colombo ces « effets du soleil mettant en évidence le manque en chacun ».

Évoquer l’idée de clandestinité comme vous le faites dans cette exposition implique une certaine illégalité et une rupture avec les règles. Raisonnez-vous de la sorte ?
Bien sûr, mais je ne me suis jamais déplacé moi-même de manière illégale. Peut-être une fois dans un train en Italie, mais cela n’a rien à voir avec ce que vivent les passagers clandestins de nos jours, qui est une pure tragédie. Avec ces œuvres, je m’intéresse à ce motif existentiel situé entre la physis et la psyché. Mais, d’une manière générale, je dirais que plus il y a de règles plus il y a de problèmes ; cela nous impose en outre de questionner ces règles. Si nous élevons des murs, nous ne devons pas nous étonner que quelqu’un tente de les escalader.

Vous exposez une longue série d’autoportraits au crayon à papier réalisés à l’aveugle (Sans titre, 2013). Est-ce une manière d’inverser la représentation ?
Faire un portrait de soi-même est, d’une manière ou d’une autre, une chose étrange, bien qu’il soit toujours intéressant de regarder des autoportraits de diverses sortes. Cela paraît si naturel et évident à faire, et le revers de la représentation révèle une approche intéressante, un peu freudienne également : fermer les yeux pendant que vous dessinez pour révéler la supposée vérité de vous-même. Je pense qu’il s’agit pour l’essentiel d’une question de perte du contrôle formel, d’être d’une manière ou d’une autre perdu sur une feuille de papier en laissant l’imagination faire le travail.

HANS SCHABUS. PASSAGER CLANDESTIN,

jusqu’au 2 novembre, Galerie Jocelyn Wolff, 78, rue Julien-Lacroix, 75020 Paris, tél. 01 42 03 05 65, www.galeriewolff.com, tlj sauf dimanche-lundi 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°399 du 18 octobre 2013, avec le titre suivant : Hans Schabus « L’expérience d’un espace partagé »

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