À la galerie Daniel Templon, à Paris, la photographie très fortement psychologique de Gregory Crewdson (né en 1962 à New York) joue avec des ambiances picturales et cinématographiques.
Votre travail est connu pour répondre à des mises en scène très précises. Ces dernières s’accordent-elles à un scénario ?
À mon sens, je travaille en termes d’images, et j’emprunte deux voies très différentes pour en produire : des extérieurs en décor naturel et des intérieurs totalement mis en scène et reconstitués. Concernant les paysages, les images viennent quand je roule ou me promène en cherchant des localisations possibles. Les vues mises en scène sont, elles, totalement issues de mon imagination. Mais quoi qu’il en soit, la première étape est toujours une image mentale. De là s’enclenche un processus à travers lequel je tente d’amener cette image à une réalisation.
Pensez-vous faire une photographie psychologique ?
Oui, il y a assurément un fondement psychologique. Mon père était psychanalyste et j’ai grandi avec ça ; cela a eu une grande influence dans ma vie. Son cabinet était au sous-sol de notre maison, et je pense que tout cela m’a ouvert à un genre de psychologie. Enfant, j’essayais d’écouter ses consultations. C’est probablement le plus ancien exemple de moi tentant de créer une image mentale à partir de ce que je pensais avoir entendu. Je crois que cette période est restée pour moi une grande métaphore de la façon de faire une photographie. Il y a en outre, à travers cela, un aspect de refoulement dans l’œuvre. Ce besoin d’aboutir à des photos parfaites émerge contre quelque chose de plus triste ou sinistre qui se situe peut-être sous la surface.
La manière dont vous photographiez a parfois à voir avec la peinture, le cinéma ou la littérature. Pensez-vous la photographie comme une sorte de syncrétisme ?
Absolument. J’ai été attiré par la photographie, précisément parce qu’il y a ces connexions possibles avec d’autres domaines, ce qui permet d’une manière ou d’une autre une expansion dans un entre-deux. J’aime aussi la photographie car elle est accessible, c’est la monnaie de notre culture. Nous sortons et sommes confrontés à des milliers d’images chaque jour. Je pense que nous n’avons pas besoin d’apprendre à lire une photo. J’aime cette accessibilité connectée à une culture plus large.
Ne croyez-vous pas que le film ait cette même accessibilité ? Pourquoi n’êtes-vous pas alors cinéaste ?
La raison pour laquelle je ne suis pas cinéaste est que je pense seulement en termes d’images isolées et non de continuité. J’aime le cinéma, sa culture, m’en inspirer, mais je ne pense pas en termes de narration linéaire. Je ne m’intéresse donc jamais à ce qui se passe avant ou après. Le travail d’un cinéaste est de tenter de comprendre cette continuité, et je ne crois pas m’en être jamais occupé. Je préfère de beaucoup la limitation de la photographie. C’est quelque chose de gelé et de nouveau. Et l’image reste toujours une interrogation.
Êtes-vous un conteur ?
Je pense que oui, mais dans une voie très limitée. Ceci par la nature de mon entreprise, où l’histoire doit nécessairement rester inachevée. Il y a une manière particulière de raconter une histoire, qui consiste aussi à laisser le spectateur parvenir à sa propre conclusion. De plus, je ne suis jamais très sûr de ce que mes images délivrent de manière littérale sur ce qu’il s’y passe. Je raconte une histoire principalement à travers la lumière, car c’est elle qui structure les images. Elle est le code narratif dans la photo ; c’est elle qui, d’une certaine manière, fait avancer la figure.
Avez-vous d’une manière ou d’une autre été inspiré par le surréalisme ?
Oui, mais avec cette distinction importante : à la fin, mes images sont ancrées dans le réalisme plus que dans le surréalisme. Je m’intéresse au fait de représenter chaque brin d’herbe ou la texture du papier peint par exemple. Mais ces détails hyperréalistes deviennent « surréalisants » car ils s’accomplissent en eux-mêmes. Cette concentration du focus sur des « hyper détails » est donc vraiment fondée sur la façon dont le réalisme a mal tourné d’une certaine manière, comme s’il revenait sur lui-même. Mais, à l’inverse du surréalisme, tout prend appui sur le moment quotidien. Il n’y a pas dans mes images de sens étrange à proprement parler. Il y a toujours un sens, et il provient de ces petits détails.
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Gregory Crewdson
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°299 du 20 mars 2009, avec le titre suivant : Gregory Crewdson