Gérard Schlosser : « La musique classique est à l’origine de tout »

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 25 août 2016 - 1069 mots

D’une grande culture musicale,
le peintre possède sur les étagères
de son appartement-atelier de Paris des milliers d’heures d’enregistrements musicaux.

L’ŒIL- Votre père était musicien. Votre passion pour la musique vous vient-elle de lui ?
Gérard Schlosser-  Mon père était employé de banque. Il y a fait une carrière modeste de caissier – caissier, à l’époque, c’était important ! Il était également flûtiste ; il a même fait un jour un remplacement à l’opéra de Lille. Le samedi et le dimanche, j’entendais ses roucoulades à la flûte…
Mais ma passion pour la musique ne vient pas tellement de lui. Dans la région, j’avais fait la connaissance d’un musicien, l’organiste André Isoir, qui est devenu un ami. Je me souviens avoir passé des nuits entières à lui tourner les pages de ses partitions, des chorals de Bach, etc. À cette époque, j’avais 18-20 ans et j’étais sculpteur…

L’histoire dit que vous êtes devenu peintre après une représentation d’En attendant Godot de Beckett, en 1953. Comment, à la vue d’une seule pièce de théâtre, passe-t-on de la sculpture à la peinture ?
C’est une époque où tout changeait. Il y avait Ionesco, Adamov, Jean Genet… La pièce de Beckett était un langage nouveau par son humour, la présence des personnages, l’attente constante de quelque chose, etc. Or, la sculpture était trop « physique », trop « matérialiste », pour me permettre de traduire cette nouveauté. Je me suis donc mis à peindre, à 22-23 ans, et la sculpture a été terminée.

À ce moment-là, étiez-vous déjà passé par l’École des beaux-arts de Paris ?
Je n’ai pas véritablement fait les Beaux-Arts. J’y suis passé six mois avant d’en partir avec pertes et fracas à cause d’une mésentente avec un professeur. Auparavant, toutefois, j’ai suivi la formation d’une école d’arts appliqués durant quatre ans, en orfèvrerie. Et c’est parallèlement que je faisais de la sculpture. Quand je suis arrivé aux Beaux-Arts, j’avais donc quatre ans d’école derrière moi et déjà des idées de ce que je voulais faire ; cela ne pouvait pas fonctionner. Et puis j’étais déjà contre les formations. Tout cela, l’art, ne s’apprend pas. On vient à la sculpture ou à la peinture parce que l’on a des choses à dire. Ensuite, on trouve la technique qui nous permet de l’exprimer. 

Cela vaut-il pour la musique ?
Non, la musique, elle, s’apprend. Il y a bien des grands musiciens de jazz qui n’ont pas appris à lire la musique. Mais, enfin, ce sont des exceptions…

Quel est votre territoire musical ? Le jazz ?
J’aime bien le jazz, oui, mais cela n’est pas « ma musique préférée ». J’aime la musique classique – elle est à l’origine de tout, quand même ! – et la musique contemporaine. Visage, par exemple, de Luciano Berio, c’est magnifique !

Vous possédez un piano chez vous. Êtes-vous musicien ?
 
Non, c’est mon fils qui a fait du piano… Quand je suis tout seul, j’improvise bien un peu, mais personne ne m’entend. J’ai joué aussi un peu de flûte, que je piquais à mon père. À une époque, j’ai même joué un peu de musique de chambre, des sonates pour violons et piano en trio ou en quatuor ; mais, bon, on ne peut pas tout faire… Et puis, avec la flûte, j’avais un problème de respiration que je n’ai jamais résolu. La colonne d’air, cela s’apprend aussi. J’étais trop essoufflé pour arriver au bout de mes phrases…

Pourquoi n’avez-vous pas fait le conservatoire ?
Parce que je me sentais plus à mon aise en dessinant et en peignant. La musique s’apprend petit à petit, il faut du temps… Dans les années 1950, j’avais un copain avec qui nous écoutions des disques, du classique, les quatuors de Beethoven, etc.

N’écoutiez-vous pas de variété ?
Si, j’écoutais les Beatles, Pink Floyd… Pink Floyd a été pour moi une révélation. À la fin des années 1960, j’écoutais une émission, « Forum », qui invitait un musicien à qui elle présentait des groupes de rock. Cette fois-là, l’émission présentait Pink Floyd au compositeur Iannis Xenakis. J’étais très inquiet de savoir ce qu’il allait en penser, car moi, je trouvais cela bien. Et il a trouvé cela intéressant.

Quelle musique écoutez-vous en ce moment ?
Depuis ce matin, j’écoute Souvenir de Florence, sextuor pour cordes de Tchaïkovski. Dans cette pièce, il y a un mouvement lent que l’on croirait de Beethoven. Les quatuors de Beethoven sont fantastiques… Autrement, j’écoute les véristes [mouvement artistique de la fin du XIXe siècle], dont Puccini évidemment. Je suis plutôt nordique que méditerranéen, mais je découvre des choses intéressantes dans ce « bel canto », comme la musique de Leoncavallo par exemple. Il y a l’équivalent de cette simplicité dans l’expression d’une chose que l’on retrouve chez Fernand Léger, l’un de mes peintres préférés.

Qu’est-ce qui vous plaît chez Léger ?
On dit depuis longtemps que le sujet importe peu dans un tableau. Moi, je pense le contraire. Le sujet est important, et Fernand Léger est peut-être le seul qui, après le cubisme, a créé des grands sujets – comme la partie de campagne ou le cirque. Par ailleurs, il y a un côté populaire dans la simplicité du traitement, que l’on trouve aussi chez Giotto, Vermeer ou dans les portraits de Cézanne, qui me touche. J’aime aussi la peinture de Gilles Aillaud, qui était le plus cultivé d’entre nous et, pourtant, le plus simple.

Lorsque l’on regarde vos tableaux, peut-on entendre de la musique ?
On ne peut pas dire qu’il y ait un rapport direct entre la musique et la peinture. Ce sont deux expressions différentes. J’écoute de la musique en peignant et, parfois, il m’arrive de poser mon pinceau parce que quelque chose se passe dans la musique qui m’empêche de travailler, dans une introduction, dans une voix, etc. J’aime beaucoup les voix, comme celle de Janet Baker dans Didon et Énée de Purcell, qui domine l’interprétation. Chez elle, il y a la qualité d’une voix, l’expression de la chose dite, un peu comme chez la Callas qui a apporté de l’humain à l’expression musicale.
Il y a des inventions exceptionnelles dans la musique, dans la Symphonie n° 6 Pathétique de Tchaïkovski, par exemple, interprétée par le chef russe Mravinsky, où il y a un passage exceptionnel qui n’est pas interprété de la même manière par Karajan ou d’autres. Parfois, il m’arrive de faire de ces moments des titres, comme pour ce tableau Je n’aime pas son vibrato.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°693 du 1 septembre 2016, avec le titre suivant : Gérard Schlosser : « La musique classique est à l’origine de tout »

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