C’est ici, dans son double atelier de Marcilly-sur-Eure, où il vit et travaille depuis 1984, que le peintre et sculpteur, 65 ans, accouche de ses dieux et héros.
Engoncé dans un empilement de pulls et de vestes, l’ensemble recouvert d’un large tablier de cuir taché de couleurs, un petit chapeau rond sur la tête et ses lunettes sur le bout du nez, Gérard Garouste est au travail. Non de la peinture, mais de la sculpture. Plus précisément, une petite pièce faite d’une barque en métal que l’artiste a placée sur un fragment de mer déchaînée, et, justement, il peaufine le mouvement endiablé des vagues. Il fait froid ce matin-là, et la température dehors est en dessous de zéro. Près de lui, l’artiste a installé une petite soufflerie d’air chaud qui ne lui sert pas tant à le réchauffer qu’à ramollir la Plastiline qu’il utilise pour modeler son sujet.
Un grand atelier de sculpture adossé à la maison des gardiens
Voilà quelque vingt-cinq ans et plus que Gérard Garouste et sa femme, Élisabeth – dont le nom est au design ce qu’est celui du peintre à la peinture –, ont jeté l’ancre à Marcilly-sur-Eure, un petit village sis à une heure de route de Paris. La campagne, Garouste connaît. Il a vécu toute sa jeunesse en Bourgogne, mais quand il lui a fallu chercher quelque chose pour disposer de grands espaces, il était hors de question de trop s’éloigner de la capitale. Implantée au beau milieu d’un grand parc verdoyant, la maison qu’ils ont trouvée a été construite en lieu et place du château de la Mésangère, jadis occupé par un dresseur de pies. La présence d’une chambre dite « de Madame la baronne » signale l’ordre nobiliaire de ses premiers propriétaires. Si les Garouste, eux, l’ont rachetée à un gros industriel de la colle, ils l’ont très vite imprimée de leurs marques, et le corps d’habitation est tout entier investi des créations de l’un comme de l’autre.
Après avoir tout d’abord établi son atelier dans le grand salon, l’artiste en a fait aménager un autre adossé à la maison des gardiens qui se trouve à l’ouest du parc. Aujourd’hui, celui-ci est
exclusivement consacré à la mise en œuvre technique de la sculpture, une fois le modèle exécuté. Pour ce faire, Gérard Garouste a engagé son gardien, Cyril, à travailler avec lui et, s’il l’a formé à ses débuts, c’est souvent lui maintenant qui trouve les solutions pratiques à la réalisation des projets de l’artiste et c’est lui qui est envoyé en éclaireur sur les chantiers de montage des expositions.
Dans cet atelier, où le peintre a jadis brossé toute la série des Indiennes, comme en témoignent les traces au mur de débordement de la peinture, c’est un vrai fourbi de machines et de pièces métalliques. C’est là que Garouste a élaboré toute la partie sculptée de l’énorme commande qu’il a réalisée rue de l’Université ces deux dernières années pour le compte du groupe Carlyle. Sa femme se sert aussi de cet atelier pour la confection de ses prototypes, du moins Cyril travaille-t-il pour elle et, le cas échéant, Garouste suit l’évolution du travail avec la même attention que si c’était le sien.
Comme on peut voir sur un rayonnage l’une des petites figures en plâtre du vieux projet de 1984 sur le thème du Défi du soleil, qui était destiné au jardin du Palais-Royal, l’artiste s’empresse de faire savoir qu’enfin celui-ci va être mis en place dans le parc de Saint-Cloud. Et il en est bien heureux.
Dans son atelier de peinture, un éclairage venu du zénith
Situé à proximité de celui de sculpture mais un peu plus en hauteur, l’atelier dit « de peinture » est proprement imposant. Orienté plein nord, il occupe au sol une surface d’environ 300 m2 et dispose d’une grande verrière à une dizaine de mètres de hauteur qui lui assure un éclairage zénithal de première qualité. Depuis une vingtaine d’années que Garouste l’a fait construire, tout y est organisé pour lui permettre de travailler dans les meilleures conditions, et le peintre y passe en effet le plus clair de son temps, séjournant seulement à Paris deux ou trois jours par semaine selon les nécessités de son emploi du temps.
Ce matin-là, donc, Garouste travaille à cette sculpture au sujet marin destinée à une petite édition choisie. Un seul tableau est visible, tous les autres sont retournés, n’offrant à voir que le revers de leur châssis sur lequel des indications chromatiques et des dates sont inscrites. Garouste n’est pas un artiste pressé, il œuvre lentement, sur plusieurs tableaux à la fois, notant pour mémoire les références des couleurs employées chaque fois qu’il passe de l’un à l’autre afin de suivre avec précision l’évolution du travail. Pour lui, la peinture est une affaire intemporelle, et ce qui compte à ses yeux n’est pas la forme, mais la profondeur du sujet qu’il a entrepris de traiter. Celui qui l’occupe depuis quelque temps est le thème de Faust. Le binôme que celui-ci forme avec Méphistophélès n’est évidemment pas éloigné de celui du Classique et de l’Indien si cher à l’artiste. Il l’a tout d’abord abordé dans le contexte d’une édition bibliophile dans la traduction que Gérard de Nerval a faite du texte de Goethe, fidèle à son goût pour les livres ; il le décline maintenant, comme à son habitude, dans toute une série de tableaux en vue de l’exposition qu’il doit présenter à la rentrée prochaine à la galerie Daniel Templon.
L’unique tableau qui est visible ce matin-là, et qui est placé sur un grand chevalet, offre à voir une étrange figure féminine aux allures de sorcière montée sur un bouc. Garouste, passionné d’histoire religieuse et mythologique, la présente comme l’image de Lilith, la première femme et la première compagne d’Adam, avant Ève. Et le peintre de se lancer dans toute une glose autour de cette figure, puis dans une comparaison entre la première et la seconde introduction du Faust, avant de glisser sur le Livre de Job. Garouste est ainsi fait qu’il vous entraîne très vite dans les dédales de sa pensée, sans aucune ostentation, mais au pur plaisir de la réflexion et de l’analyse. Assis sur un petit escabeau, Gérard Garouste raconte encore l’envie nouvelle qu’il avait de travailler le nu d’après des modèles professionnels qu’il a fait venir à l’atelier et comment cela a nourri autrement son travail.
Sur les murs et le sol, les traces de sa passion pour la peinture
Dans ce grand atelier aujourd’hui quasi vide, le souvenir de son encombrement revient au galop alors qu’il y a une douzaine d’années, l’artiste était en train de travailler au plafond du foyer du théâtre de Namur. Ou bien encore quand il y avait dressé un énorme cône, pointe en bas, sur les flancs duquel le peintre avait figuré le thème des « Saintes Ellipses », présentées sous la coupole majestueuse de la chapelle de l’hôpital de la Salpêtrière dans le cadre du Festival d’automne en 2003. Ou bien encore, plus récemment, quand il réalisa cette série impressionnante de peintures autobiographiques au triple motif de « La Bourgogne, la Famille et l’Eau tiède ».
Chaque fois, Garouste accapare l’espace, il l’emplit de partout dans une profusion vertigineuse d’images qui proclame sa passion irrépressible pour la peinture. Il suffit de jeter un coup d’œil autour de soi pour en prendre la mesure : non seulement il y a tous ces tableaux retournés, mais les murs sont couverts de traces peintes ; il y a quantité de chevalets, de tables sur lesquelles sont posés les instruments de la peinture : des tubes de couleurs, des palettes, des pinceaux, des chiffons, des pots, des crayons, etc. ; un échafaudage est dressé qui semble attendre que l’artiste y grimpe pour aller atteindre le haut d’un tableau.
Un grand miroir, enfin, trône au beau milieu de l’atelier. Placé à plusieurs mètres du tableau de la sorcière, il permet ainsi à l’artiste d’estimer et de vérifier le travail exécuté. C’est une vieille recette dont usent tous les peintres pour prendre leurs distances par rapport à l’image contre laquelle ils ont le nez collé, d’autant que l’inversion droite/gauche de son reflet leur découvre le travail en cours sous un autre angle. Si d’aucuns ont parfois voulu faire de Gérard Garouste quelqu’un de nostalgique, le bassinant avec la modernité et le passé, voire lui reprochant de vouloir trop mettre les mains dans le cambouis de la peinture, le peintre ose alors la comparaison : « Si j’étais coureur automobile, je voudrais savoir comment fonctionne le moteur. » Et, de fait, Garouste sait la peinture, c’est pourquoi il la transcende.
1946 Naissance à Paris.
1965 Entre à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris.
1977-1982 Garouste intervient comme scénographe, metteur en scène et décorateur pour le Palace et le Théâtre de la Ville à Paris.
1983 Peint l’un des plafonds du palais de l’Élysée, un an avant de s’installer à Marcilly-sur-Eure, en Normandie.
1991 Fonde l’association La Source (Eure et Val d’Oise).
2001 Daniel Templon le représente à Paris.
2006 L’État lui commande les cartons pour une tapisserie d’Aubusson.
2009-2010 Rétrospective à la Villa Médicis à Rome.
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Gérard Garouste dans son panthéon de l’art
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°634 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Gérard Garouste dans son panthéon de l’art