Personnage singulier et toujours actif dans l’idéal collectif, Charles Fourier inspire à Besançon un accrochage curieux et confus
BESANÇON - « En tout lieu où nous voyageons, en toute occasion où nous éprouvons un désir, une envie, une lassitude, une vexation, il est possible d’interroger Fourier, de se demander : qu’en aurait-il dit ? Que ferait-il de ce lieu, de cette aventure ? » En 1971, dans son Sade, Fourier, Loyola, Roland Barthes pose on ne peut plus clairement l’importance et l’influence des théories idéalistes de Charles Fourier (1772-1837), toujours pertinentes et efficientes à ses yeux. Le Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon s’empare de nouveau du personnage natif de la cité, avec une manifestation prenant place dans le cadre d’un événement beaucoup plus large, mis sur pied par la métropole Rhin-Rhône – regroupement de seize villes et agglomérations françaises, suisses et allemandes réparties autour d’un axe allant du Creusot-Montceau (Saône-et-Loire) jusqu’à la région de Bâle-Mulhouse.
L’opération entend, tout au long de l’année 2010, proposer une série d’expositions d’art, d’histoire ou de science et technologie portant sur le thème « Utopies et innovations ». Ainsi, la Maison de l’ailleurs d’Yverdon-les-Bains, en Suisse, proposera en mars une réflexion sur « Musique et science-fiction », alors que Belfort ouvrira en septembre son espace urbain à « L’audace monumentale », une réflexion sur les liens et les différences entre sculpture, monument et environnement (1).
À Besançon, c’est donc Fourier qui apparaît tout à la fois être visité et revisité. Visité, car l’exposition s’ouvre sur une ample section historique, à l’important contenu documentaire. Revisité, car, dans un second temps, sont explorés les fondements de sa théorie et ses idées maîtresses dans un parcours contemporain où les œuvres convoquées ne sont pour la plupart de nulle obédience fouriériste. Elles en permettent ici une possible mise en illustration a posteriori, à ne pas confondre avec des influences citées et revendiquées. Touffue et quelque peu aride, sauf pour qui aurait décidé de se plonger à corps perdu dans cette histoire afin de tenter d’en appréhender tant l’essence que les ramifications, la première partie n’oublie rien des ouvrages publiés par Fourier et ses disciples. Elle donne à voir chacun d’entre eux ainsi que les mises en images des théories du maître, à commencer par le phalanstère, duquel le penseur n’élabora jamais de plan. Formidable est, par exemple, l’évocation du Familistère de Guise (Aisne) fondé par Jean-Baptiste André Godin, en activité de 1859 à 1968, qui offrit à la pensée de Fourier une concrétisation… au-delà de sa seule dimension utopique.
Mélange des genres
Très fournie elle aussi, la section contemporaine se déploie en douze volets faisant écho aux douze passions qui régentent le monde, exposées dans le Plan du Traité de l’attraction passionnelle, avec un Robert Filliou en fil rouge, artiste toujours d’esprit délicieux, qui parvient à s’insinuer un peu partout. Les salles consacrées aux expériences architecturales flirtant entre concret et utopie (Yona Friedman, Alain Bublex, Atelier Van Lieshout, Ettore Sottsass…) apparaissent être les plus convaincantes lorsque, ailleurs, certains volets sont pauvrement pourvus d’une seule œuvre. Ainsi, celui consacré à l’hédonisme radical formalisé par la fête, ne présente qu’un Disco Floor (2002) d’Angela Bulloch, ou l’évocation d’un engagement en faveur des femmes d’où, seule, surnage une installation vidéo de Mai-Thu Perret (An Evening of the Book, 2007).
À la décharge des organisateurs, il est à noter que l’aberrante réhabilitation du musée, effectuée dans les années 1960, a créé une constellation complexe de petits espaces malaisés. Une difficulté qui aurait dû conduire à une certaine prudence, comme dans la salle des peintures du XIXe siècle, pourtant dotée d’un beau volume celle-là. Seules y furent retirées les toiles nécessaires afin de créer de l’espace pour accrocher des pièces de Vanessa Beecroft, Peter Saul ou Pino Pascali, relatives aux thèmes « Gastrosophie et opulence » et « Le nouveau monde amoureux », le reste des œuvres étant resté en place et n’ayant rien à dire aux nouvelles venues. Même porté par l’utopie, le mélange des genres ne fait pas toujours bon ménage !
(1) Le programme complet d’« Utopies et innovations » se trouve sur www.utopinov.net
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Fourier, visité et revisité
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaires : Emmanuel Guigon, directeur du Musée des beaux-arts et d’archéologie ; Sophie Bernard, conservatrice au musée
Nombre d’œuvres et documents : environ 200
CHARLES FOURIER, L’ÉCART ABSOLU, jusqu’au 26 avril, Musée des beaux-arts et d’archéologie, 1, place de la Révolution, 25000 Besançon, tél. 03 81 87 80 49, www.musee-arts-besancon.org, tlj sauf mardi 9h30-12h00 et 14h00-18h00, jeudi 9h30-12h00 et 14h-20h, week-end 9h30-18h00. Catalogue à paraître
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°320 du 5 mars 2010, avec le titre suivant : Fourier, visité et revisité