De Fontainebleau revient aussitôt en mémoire le sublime et célèbre escalier en fer à cheval, construit par Jean du Cerceau sous Louis XIII et au pied duquel, le 20 avril 1814, à 1 heure de l’après-midi, Napoléon Bonaparte fit ses adieux à cette France dont il prétendait que « son bonheur était [s]on unique pensée », mais qu’il laissait exsangue, déchirée, partiellement occupée...
En réalité, Fontainebleau existait déjà, bien avant lui, et continuerait d’exister bien après lui. Depuis le XIe siècle, les traces abondent de Louis VII et Philippe-Auguste, de saint Louis et de Philippe le Bel. Mais c’est avec François Ier que s’opère le grand tournant. Le roi de France, dont on sait à quel point il sut saisir l’esprit de la Renaissance, y fait édifier ce qu’il nomme une « nouvelle Rome » et y exprime pleinement son goût pour les œuvres à l’antique. À sa suite, Henri IV va considérablement agrandir le château, faisant redresser le tracé irrégulier de la cour Ovale, édifier le Jeu de paume et la cour des Offices par Jacques Androuet du Cerceau. Louis XIV, Louis XV et Louis XVI poursuivront eux aussi l’œuvre de leurs prédécesseurs. La République transformera le palais en musée.
Depuis 1997, l’association ProQuartet y organise des Rencontres musicales qui ont permis d’accueillir les chambristes et les musiciens les plus éblouissants qui soient, à l’instar des quatuors Alban Berg, Prazak ou encore Artemis et des solistes Yehudi Menuhin, Vadim Repin ou Gidon Kremer… Sensible à cette « renaissance » de Fontainebleau, le ministère de la Culture et de la Communication confie donc à l’association ProQuartet (dont l’action s’articule autour de trois pôles : formation et diffusion, création et production, insertion professionnelle et action culturelle) la conception et la mise en œuvre du Centre européen de musique de chambre programmé pour 2006. Le futur centre devant prendre place dans les trois ailes délimitant le vaste rectangle de la cour des Offices. Sobres bâtiments appareillés de bossages, ponctués de pavillons trapus et ouvrant, par un portail monumental, sur la place d’Armes et sur la ville. La campagne de restauration s’engage, portant sur le clôt et le couvert, menée par Jacques Moulin, architecte en chef des Monuments historiques, tandis qu’est organisé un concours d’architecture concernant la reconversion et le réaménagement contemporain de l’ensemble. Avec un programme prévoyant des espaces pour les activités artistiques (formation, création, diffusion et production de concerts), la recherche et la documentation (médiathèque), les espaces nécessaires à l’hébergement et à la restauration, les activités de sensibilisation du public (salles d’exposition) et un auditorium de 100 places, le tout pour une surface de 4 200 m2 et un budget de 12,08 millions d’euros destinés à la restauration du bâtiment et de 7,6 millions d’euros pour les aménagements intérieurs.
«Respecter absolument les charpentes éblouissantes et la forme si spécifique des toitures a été notre souci constant », confie l’architecte Jacques Moussafir, lauréat du concours. Lequel ajoute : « Ce qui m’a le plus frappé face aux trois ailes à aménager de la cour des Offices, c’est qu’à l’évidence elles évoquaient d’emblée une portée musicale. Consonances, résonances, dissonances, scansions et même appoggiatures, tout ici était irrésistiblement musique ! »
Et de fait, Jacques Moussafir a livré là une partition d’une extrême simplicité et d’une redoutable complexité. Marquant chacun des territoires, les délimitant précisément, tant au plan horizontal que vertical (il installe notamment les espaces musique dans les parties hautes des pavillons dont les charpentes favorisent une acoustique exceptionnelle), il n’en parvient pas moins à organiser une porosité totale entre les fonctions et les activités, et notamment par la grâce de circulations en façade du plus heureux effet.
Se confronter à l’histoire
Soulignant avec humour l’effet de trompe l’œil que dispense la cour des Offices, dont les bâtiments culminent à 30 mètres alors que leur épaisseur varie entre 8 et 12 mètres, Jacques Moussafir insiste sur la difficulté qu’il y a de se confronter à tant d’histoire, de force et d’identité : « Il fallait parvenir à donner aux visiteurs et aux acteurs du futur centre le sentiment que ces lieux ont été, dès l’origine, conçus pour cette fonction précise. »
Il est, bien évidemment, trop tôt pour en juger alors que les travaux d’aménagement démarrent en ce mois de mai 2004. Néanmoins, l’analyse du projet démontre que le jeu dialectique opéré par l’architecte entre contenant et contenu, origine et devenir, témoigne d’une musicalité rare.
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Fontainebleau réorchestré
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°193 du 14 mai 2004, avec le titre suivant : Fontainebleau réorchestré