Artisanat d'art

Céramiste du XXe siècle

Fabuleuse Guidette Carbonell

Par Karine Lacquemant · L'ŒIL

Le 1 avril 2004 - 647 mots

Personnalité inventive qui transforme n’importe quel morceau de terre, de ciment ou de chiffon en animal fabuleux, Guidette Carbonell est connue des amateurs de céramique moderne pour son modelage instinctif et sa verve narrative.

Née en 1910, d’un père catalan et d’une mère peintre d’origine arménienne, Guidette Carbonell fréquente plusieurs ateliers de peinture avant de devenir céramiste. Celui d’André Lhote à la Grande Chaumière, puis ceux du peintre Roger Bissière et d’Othon Friesz. Son premier contact avec la terre a lieu dans une petite école rue de Fleurus, même si ultérieurement elle poursuivra seule sa formation de potier. Au cours de cet apprentissage solitaire elle rencontre le céramiste catalan Llorens Artigas qui lui donne de précieux conseils. Ce dernier s’adonnait à la technique du grès, la jeune artiste préfère quant à elle la faïence, matériau lui permettant d’utiliser une palette d’émaux éclatante en accord avec sa fantaisie décorative. Guidette Carbonell débute au Salon d’automne en 1932 en exposant aux côtés des grands noms de la céramique de l’époque, Jean Beyer, Émile Decoeur, Auguste Delaherche, Jean Mayodon… Ses créations sont saluées par une critique qui n’hésite pas à employer le terme de « révélation » à son égard. Il faut dire qu’avec ses émaux blancs parsemés de couleurs acides, à la fraîcheur toute juvénile, elle se démarque foncièrement de ses aînés partisans d’une céramique austère et méticuleuse. Ses bas-reliefs monumentaux ou ses carreaux décoratifs sont peuplés de créatures espiègles sur les thèmes du cirque, du paradis terrestre, d’Adam et Ève ou de l’enlèvement d’Europe. L’artiste obtient plusieurs achats de l’État, notamment deux fontaines monumentales pour le pavillon de Sèvres et celui de la Lumière, à l’Exposition de 1937. Invitée en stage à la manufacture de Sèvres, elle y explore la technique du grès. Mais la guerre ralentit bientôt la vie artistique, et c’est grâce à Jacques Adnet – qui avait repris en 1928 la Compagnie des Arts français déterminante pour le renouveau du goût français en art comme en artisanat – que Guidette Carbonell arrive à survivre. Sous l’impulsion de son « découvreur », elle exécute alors ses pièces les plus emblématiques : par exemple ce magnifique tondo sur le thème du paradis terrestre, richement émaillé dans la veine renaissante des céramiques italiennes de Della Robbia (vendu le 18 juillet 2003 par l’étude Pierre Bergé & Associés, cf. L’Œil n° 555). D’autres lions débonnaires et putti grassouillets, inspirés par ses récentes maternités, installent définitivement cette veine débridée et fantaisiste qui la rend unique.
Au début des années 1950, Guidette Carbonell s’aventure vers le langage de l’abstraction avec une série d’oiseaux lumineux stylisés. Elle continue son travail sur la matière en mélangeant à la terre galets ou tessons de verre pour des plats décoratifs dans l’esprit de Palissy, qui seront exposés à la galerie Jeanne Bûcher aux côtés de tapisseries de Jean Lurçat. Le musée des Arts décoratifs de Paris a acquis en 2000 le Plat au poussin appartenant à cette série. D’autre part elle entreprend à cette époque une longue collaboration avec les architectes, renouvelant les grandes compositions murales qu’on lui commande par son goût des mélanges insolites de matériaux : panneaux de faïence, mais aussi mosaïques de pierre, ardoise, polyester ou Plexiglas. Parallèlement, elle s’amuse à réaliser de petites sculptures bifaces ponctuées d’écrous, de vis et de boulons qu’elle appelle ses Idoles, qui annoncent la série des grands oiseaux-totems en ciment émaillé, les Harpies, pouvant mesurer jusqu’à un mètre soixante-dix de hauteur. Ces oiseaux trouveront encore un autre support formel par la réalisation de grands textiles cousus, que l’artiste entreprend à partir de 1967. Une centaine de tentures murales, à laquelle s’ajoutent des séries importantes de dessins aux couleurs de l’enfance, composent au final une œuvre entièrement guidée par un imaginaire fertile et toujours joyeux. Le parcours original de cette grande artiste, aujourd’hui âgée de quatre-vingt-quatorze ans, sera prochainement redécouvert par une exposition accompagnée d’une publication exhaustive.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°557 du 1 avril 2004, avec le titre suivant : Fabuleuse Guidette Carbonell

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