Quoi de neuf au pays des polders ? Wieki Somers, 28 ans, figure montante du design batave. En avril, dans le « Off » du Salon du meuble de Milan (lire le JdA n° 214, 29 avril 2005), elle a dévoilé sa dernière création : Bathboat, une baignoire en forme de bateau. Ou peut-être un bateau en forme de baignoire. On ne sait plus trop à vrai dire. Mais c’est là l’un des objectifs avoués de Somers : jeter le trouble dans les esprits, bousculer les conventions afin d’amener l’utilisateur à s’interroger sur l’objet qui lui fait face, et non à glisser sur lui un regard distrait comme cela arrive souvent. « J’aime que l’on regarde mes pièces et que l’on se demande comment cela fonctionne », dit-elle. Pour cette baignoire-bateau – qu’elle a fabriquée de ses propres mains –, elle a complètement inversé la logique de construction d’une embarcation. La peinture extérieure, dont on use habituellement pour imperméabiliser une coque, se retrouve cette fois appliquée à l’intérieur, pour rendre la baignoire étanche. Quant à la structure en bois qui supporte ladite baignoire, elle ressemble à celles qui soutiennent les bateaux lorsqu’ils sont à quai. « Il y a des sensations similaires entre flotter sur l’eau et se baigner dans l’eau, tel le plaisir de l’abandon. Je les ai combinées en une seule installation », explique Somers. Ce brouillage volontaire des signes stimule en tout cas cette gymnastique mentale que souhaite provoquer la designeuse.
Nombre de ses créations fonctionnent d’ailleurs sur le même principe. Ainsi en est-il du contenant Mattress Stone Bottle (2002), en forme de balise flottante. Wieki Somers en a eu l’idée en serrant très fort un filet de pêche autour d’un ballon de baudruche. Elle a ensuite reproduit en céramique cette matière plastique qui enflait au travers des mailles du filet. La surface obtenue, une myriade de losanges, lui a alors fait penser à ces vieux matelas de laine. Elle en a aussitôt amplifié l’image en ajoutant des motifs de fleurs anciennes, jadis imprimés sur les paillasses brodées. Au final sourd de cette pièce un curieux sentiment, duel subtil entre une idée du moelleux – le matelas – et une réalité plus ferme – la céramique.
Regard acide
Le trouble est davantage de mise encore avec cette création conçue pour le fabricant néerlandais Cor Unum. Blossoms (2004), ou « Floraisons », est un vase qui arbore déjà sa propre « Nature » : quelques branches de porcelaine se hissent en effet en dehors du pot, comme si la céramique elle-même se mettait à pousser. « J’aime la confusion qui naît de cette ambivalence entre le vrai et le faux », souligne Somers. Sur ces fausses branches se sont déjà agglutinées quelques mauvaises herbes, peintes. À l’endroit des bourgeons enfin, de minuscules ouvertures dissimulent des soliflores de verre dans lesquels viendront prendre place les vraies fleurs. Mattress Stone Bottle et Blossoms font partie d’une série de pièces de table ironiquement baptisée « Confusion dans le placard », laquelle fait l’éloge de l’ambiguïté.
On l’aura compris, c’est là l’un des terrains de jeu favoris de Wieki Somers. En 2003, elle a imaginé la théière High Tea Pot, trophée de chasse surréaliste en forme de crâne de cochon, qui maintient le thé au chaud grâce à une housse en fourrure de ragondin. « Rien n’est plus décadent que de satisfaire le besoin humain de statut et d’extravagance en faisant du mal aux animaux », affirme-t-elle. Preuve que Somers peut aussi poser un regard lucide, sinon acide, sur la société actuelle.
Cette façon bien à elle de faire se télescoper des rites très quotidiens et des formes ou des matières qui le sont moins génère des objets étranges, à la fois familiers et exceptionnels. Des objets qui en tout cas interrogent. C’est bien là le but de la manœuvre.
On peut voir plusieurs créations de Wieki Somers sur son site Internet : www.wiekisomers.com.
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Être dans le bain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°217 du 10 juin 2005, avec le titre suivant : Être dans le bain