Avec l’exposition « Légende », l’été sera étrange et mystérieux au Domaine de Chamarande.
CHAMARANDE - C’est à tâtons que le visiteur entre dans « Légende ». Le contexte, un château du XVIIe siècle et un parc luxuriant de 98 hectares, promet déjà maintes histoires, entre épouvante et enchantement. Ces derniers temps, dans une société hautement désenchantée, réelle et trop réelle, les expositions et autres événements servent et resservent de la magie, féerie, du sirop de cassis ésotérique... bref de l’enchantement jusqu’à l’écœurement ! De son côté, le commissaire de l’exposition, Alexis Vaillant, est récemment passé maître en la matière. À l’Espace EDF-Electra, à Paris, en 2005-2006, il avait déjà proposé un « Voyage intérieur » teinté de psychanalyse, de romantisme et de décadence (lire le JdA n° 228, 6 janvier 2006, p. 11).
Frissons visuels
À Chamarande (Essonne), la mise en scène artistique de « Légende » tire pleinement parti du château sans pour autant sombrer dans les facilités du genre. Les lieux sont plongés dans la pénombre et le visiteur s’y laisse aller d’un pas assuré, comme s’il se laissait tenter un soir par une balade dans les catacombes. Plan à l’appui, il part en quête de frissons visuels, espérant qu’ils soient aussi nombreux que délicieux. Sur le seuil de chaque salle, un haïku annonce d’une certaine manière la couleur, ou plutôt le climat… Et ce sont plus d’une vingtaine d’ambiances que l’on hume à travers cette exposition qui mêle esprit gothique, pop culture et glam rock sur fond de poème énigmatique. Dès la première salle – « L’entremonde », le haïku résonne comme une formule magique : « Le saule ondule en souriant à la porte. » C’est Ulla von Brandenburg qui nous accueille avec une œuvre spécialement réalisée pour les lieux, composée de vêtements et hissée comme une bannière... celle d’un nouveau monde. Puis, dans « L’antichambre », on médite sur « Les fleurs sont tombées nos esprits sont maintenant en paix ». Gedi Sibony et Paul Lee y présentent des pièces mystérieuses : le premier joue de l’architecture avec ses tables, le second réalise des dessins qui ressemblent à des empreintes de l’âme directement prélevées dans l’au-delà. Dans le « Couloir de cinq minutes et demie », l’énigme reste poétiquement entière. « Aux admirateurs de lune les nuages parfois offrent une pause » : c’est l’un des espaces les plus habités de l’exposition. Matthias Bitzer y expose une trace d’ectoplasme. L’arbre généalogique de Shannon Bool a été totalement réinventé alors que la couette en plumes de Matthew Smith s’est mise dans une étrange position de prière. Que dire des chaussures de Markus Schinwald évoquant quelque défaut physique peu commun chez son éventuel propriétaire ? Et, tout au long de ce périple, le visiteur croise des portraits d’Alan Michael, Lisa Yuskagave ou Melvin Moti, ou encore une tête de David Altmejd faite de précieux cristaux. Un film fantomatique de Mrzyk et Moriceau, des toiles qui engendrent la fiction par Dan Attoe, des dessins en noir et blanc au trait nerveux signés John Kleckner, des pay-sages peints par Andreas Dobler, des sculptures de Klara Kristalova, nous ramènent à une esthétique pop gothique. L’heure des métamorphoses semble avoir sonné. Il faut croire que tout ici a une âme et qu’à travers les vitrines, objets, installations, peintures, l’on peut suivre une voie bleutée et pavée par Pae White, un chemin de fer de céramique. En haut d’un escalier, le visiteur se surprend même à glisser un œil dans une serrure pour y découvrir l’indicible.
L’esprit dada hante manifestement les lieux, dès le parc, à l’orangerie, au belvédère, dans la glacière ou dans la chapelle. Un arbre est vêtu d’un pantalon (Peter Coffin). Le pavillon de chasse est imprégné d’eau de Guerlain comme si un spectre y avait laissé son empreinte olfactive (Roger Hiorns, L’Heure bleue). Aucune des œuvres ne se livre entièrement. Il faut prendre plaisir à réinventer à chaque pas le scénario. Il faut se laisser porter dans le « salon Ovale », dans le « labyrinthe Dracula », le « Trou noir » ou l’« Enfer ». Dans la salle de « L’homme à damiers », on pourra se sentir soudain comme ce personnage miniature de Tomoaki Suzuki, campé sur ses deux jambes, l’air assuré dans ses habits de musicien moderne..., mais les bras ballants face à l’éternité. Enfin, l’on repensera à la phrase de J.G. Ballard qui accompagne l’exposition : « Ce que vous voyez dépend de ce que vous cherchez. » La sensation d’être allé au-delà est pourtant persistante.
Jusqu’au 28 septembre, Domaine départemental de Chamarande, centre artistique et culturel, 38, rue du Commandant-Arnoux, 91730 Chamarande, tél. 01 60 82 52 01, tlj 12h-19h, www.chamarande-essonne.fr
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Abonnez-vous dès 1 €- Directrice artistique : Judith Quentel - Commissaire invité : Alexis Vaillant - Dispositif lumière : Yves Godin - Directeur : Record Makers - Nombre d’artistes : 48
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°285 du 4 juillet 2008, avec le titre suivant : Entrez dans la légende