Patrick Van Caeckenbergh déploie son univers en trois dimensions au Carré d’Art à Nîmes.
NÎMES - Qui est vraiment Patrick Van Caeckenbergh ? un anthropologue, un magicien, un encyclopédiste ? un spécialiste du tube digestif ou un fin connaisseur de la faune et de la flore ?
Artiste ou savant fou, sa vaste exposition au Carré d’Art, à Nîmes, peut se lire comme un immense rébus visuel où chacune des œuvres présentées est un indice. Un prétexte pour avancer d’un cran dans la connaissance, le sourire toujours aux lèvres. Le visiteur est accompagné de salle en salle par les cartels rédigés par l’artiste lui-même : des œuvres qui nous rappellent l’ambiance et l’organisation d’un musée de paléontologie ou d’histoire naturelle, savamment détournés. Classifications, collages, dessins, objets, jeux de mots et courts-circuits visuels…, sa rétrospective intitulée « Atlas des idéations-Les jardins clos » porte sur vingt ans de travail. C’est l’occasion pour l’artiste de nous laisser entrer dans ses multiples jardins secrets… et peut-être même au-delà, car Van Caeckenbergh maîtrise bien les fonctions d’ingestion et de digestion du corps humain et le visiteur a tôt fait de se prendre pour un enzyme glouton propulsé à travers les parois d’un organisme vivant.
D’entrée l’accueil est chaleureux et s’effectue côté jardin en version kitsch : six nains portent une boîte de crayons Caran d’Ache comme s’il s’agissait d’un toit sous lequel se glisser ou bien d’un cercueil. Surmontée d’un paysage montagneux, l’œuvre fait allusion à l’Espace Caran d’Ache, en Suisse, où Patrick Van Caeckenbergh a exposé à ses débuts. Mais il s’agit aussi d’un clin d’œil à l’étymologie allemande de « Kackenberg », une montagne dont l’auteur pourrait être originaire. Nous voici donc en plein cœur de la genèse Van Caeckenbergh. Dans l’œuvre foisonnante d’un artiste d’origine flamande au nom inscrit sur une plaque dorée à l’entrée de l’exposition. Et, passé le lourd rideau de velours rouge, on pénètre déjà dans sa « Trésorerie ». S’y trouvent quelques clés : une lampe allumée, un pupitre, des collages, un Calder, un fauteuil Le Corbusier, des planches d’anatomie et la maquette de l’Atlas spécialement réalisé pour l’exposition. Un ensemble d’éléments qui renvoient à l’enfance de l’artiste, lequel fit son apprentissage du monde dans sa chambre et notamment à travers un précieux trésor : une encyclopédie. Un outil pour réinventer le monde à travers lectures savantes et mythes de l’enfance, entre Jules Verne et Lewis Carroll, Rrose Sélavy et humour belge, entre cartographie et cosmologie, puzzles et fantaisie.
Monde organique-onirique
Pour ne pas perdre en route le voyageur qui s’apprête à gravir les flancs de cette montagne artistique, Van Caeckenbergh a pris soin de réaliser la cartographie de ces œuvres sur fond de poster alpin. Alors que, sur les murs, les pages d’un livre en balsa détaillent son parcours à partir de multiples collages et photos, l’ex-étudiant en architecture nous met face à son premier espace de vie : un studio minimaliste où il vécut entre 1980 et 1984. Un hommage à la « machine à habiter » du Corbusier. Sommeil, alimentation, travail… et autres activités sont réunis sur quelques mètres cubes.
À partir de là, le visiteur est prêt pour l’excursion dans cet imaginaire sans limites.
Ici, un gastéropode géant, transformé en landau, ressemble au Nautilus. Là, une tortue reprend les circonvolutions d’un cerveau humain. Ailleurs, un « cheval domestique » est réalisé à partir de tout ce que l’on peut trouver dans une cuisine rustique : bocaux, table, conserves, assiettes… Et, comme Van Caeckenbergh est du genre à travailler du chapeau, il présente un haut-de-forme géant doublé d’une carte du ciel qui renferme mille et un trésors dans ses tiroirs. Bulles de savon, tubes digestifs ambulants et châteaux de cartes invincibles, personnages de roman ventripotents et roue de zodiaque..., le savoir est sans cesse assimilé et réinventé. On évolue dans un monde organique-onirique mais sans perdre de vue le monde réel. Car dans cette comédie humaine, l’avant-dernière salle d’exposition est aussi troublante que minimale : des collections de peaux courent sur les murs et entourent une couronne formée de six squelettes implorant à Dieu sa clémence. Clin d’œil aux troubles sociopolitiques du nouveau millénaire, et aussi aux six nains du début. Mais, comme à toute mort succède une naissance, le cycle de la vie reprend autour des restes d’une tablée pleine de victuailles. Nourritures spirituelles ou terrestres, Patrick Van Caeckenbergh nous ramène à l’essentiel tout au long de cette œuvre protéiforme. Une encyclopédie vivante.
Jusqu’au 17 avril, Carré d’Art/Musée d’art contemporain, place de la Maison-Carrée, 30000 Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, tlj sauf lundi 10h-18h. Édition d’un livre d’artiste, 35 euros.
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Encyclopédie vivante
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°211 du 18 mars 2005, avec le titre suivant : Encyclopédie vivante