Marcel Duchamp recadré à Paris

Duchamp en peinture

Le Centre Pompidou relit la carrière du père du ready-made à l’aune du pictural. Après s’être essayé à une multiplicité de styles, il concentre dans sa peinture ses recherches sur la machine, l’optique et l’érotique

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2014 - 762 mots

Marcel Duchamp aimait et pratiquait la peinture… Le Centre Pompidou en fait la démonstration avec une exposition qui lève le voile sur les questionnements de l’artiste avant le tournant décisif qui aboutit au Grand Verre. Fauvisme, cubisme, expressionnisme ou encore symbolisme, Duchamp puise dans l’air du temps, avant de le révolutionner.

PARIS - Ainsi donc le grand Marcel n’était pas le fossoyeur de la peinture qui nous fut si souvent présenté, mais à l’inverse le défenseur d’une pratique par trop minimisée par nombre de ses exégètes ! Voilà la thèse, séduisante, même si, de prime abord, elle peut donner le sentiment de vouloir faire rentrer dans le rang un esprit frondeur, étayée au Centre Pompidou, à Paris, par l’exposition « Marcel Duchamp. La peinture, même ».

Du Duchamp peintre la postérité n’a le plus souvent retenu que les remarquables expérimentations « cubo-futuristes », Jeune homme triste dans un train (1911-1912) et Nu descendant un escalier no 2 (1912), lesquelles, si elles lui attirèrent les foudres des cubistes, firent son succès aux États-Unis, et La Mariée mise à nu par ses célibataires, même (1915-1923), plus connue sous le titre Le Grand verre, dont une réplique réalisée par Ulf Linde en 1991 – qui en avait déjà confectionné une signée par le maître en 1961 – clôt la visite. L’une des œuvres du XXe siècle parmi les plus commentées se pose ainsi comme l’aboutissement d’un questionnement qui serait central et constant chez l’artiste.

Peintures en boîte
Habilement, la première salle indique cette constance de préoccupation en regroupant des travaux aussi divers que la célébrissime Joconde moustachue (L.H.O.O.Q., 1919), une Boîte-en-valise (1935-1941) contenant notamment des images de certaines de ses peintures et qui, selon des propos tenus par l’artiste en 1955, lui servit à « reproduire les tableaux qu’[il] aimai[t] tellement », mais également une série de lithographies tardives (1968) inspirées par Ingres, Courbet ou Cranach.
Ce que révèle ou rappelle l’exposition, c’est qu’avant d’aboutir à son Grand verre laissé inachevé, le père du ready-made a traversé une large partie des mouvements d’avant-garde en peinture ; il s’est ainsi essayé à des styles aussi multiples qu’étonnants parfois, que l’accrochage met en relation avec des productions contemporaines et/ou des sources. Avec des fortunes diverses, l’artiste passe de dessins de presse du début du siècle à des productions teintées de fauvisme en 1910 (Bateau-Lavoir, qui résonne un peu comme du postimpressionnisme « déréglé ») ou 1911 (Paysage [Étude pour Paradis]), assez tardives donc, Georges Braque s’y étant attelé dès 1907 avant d’amorcer l’année suivante le virage cubiste. Son obsession pour Odilon Redon le conduit vers des touches aux accents symbolistes, quand il ne tend pas vers une veine plus expressionniste, s’agissant de nus féminins notamment (Nu rouge, 1910).

Un tournant s’amorce avec son intérêt marqué pour le cubisme et le futurisme qui s’accompagne d’une attention toute particulière à l’endroit des évolutions de l’époque : les rayons X et la radiographie permettant de rendre un motif nimbé d’un halo, mais aussi l’étude des mouvements dans le cinéma ou les images, comme celles d’Étienne Jules Marey dont il est donné à voir ici des photographies et schémas. Il souscrit encore à cette nouvelle culture de la machine, qu’évoque à merveille Le Cheval majeur en bronze (1914/1976) de Raymond Duchamp-Villon. Autant de bouleversements qui pour Marcel Duchamp se traduisent par la prise en compte d’une impossibilité de l’esprit comme de la rétine à tout embrasser ; celle-ci conduit nécessairement à reconsidérer le domaine du visible et la possibilité ou l’impossibilité, même, de la restitution du monde en peinture.

C’est là que la machine duchampienne « dérape » complètement, épousant un virage plus radical et passionnant dans la conduite de ses affaires picturales. Une maquette de son œuvre ultime, toujours réalisée par Ulf Linde, rappelle opportunément qu’Étant donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage… (1946-1966) tient en grande partie dans des problématiques de perspective, tandis qu’une abstraction formelle plus marquée le conduit progressivement vers la « Mariée ». Des extraits des premiers films érotiques, réalisés  à la fin du XIXe siècle et diffusés en début de parcours, montrent à quel point ce thème du déshabillage de la mariée est une préoccupation commune et ancienne.

Un tableau tel Réseaux des stoppages (1914), dont le fond, tapissé d’une sorte de cubisme primitif, est recouvert d’une grille permettant de prendre du recul par rapport l’avant-garde, semble affirmer que la nouveauté picturale n’est pas optique mais conceptuelle. Nous y voilà, et Duchamp de marier le pictural et le conceptuel !

Marcel Duchamp

Commissaire : Cécile Debray, conservatrice au Mnam
Nombre d’œuvres : environ 100

Marcel Duchamp. La peinture, même

Centre Pompidou, niveau 6, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.centrepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue, 320 p., 44,90 €.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°421 du 17 octobre 2014, avec le titre suivant : Duchamp en peinture

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