Pour sa réouverture, le Musée des arts décoratifs à Paris met en exergue la production en série des pièces de design.
PARIS - Une fois n’est pas coutume, une exposition inaugurale fait la part belle au design. Sous le titre générique « Éditer le design », le Musée des arts décoratifs, à Paris, propose, en effet, une présentation en deux volets qui aborde une question capitale de la création commerciale : l’édition. « Nous voulions accompagner la réouverture du musée en pointant du doigt non pas les objets, mais plus précisément la vie des objets », explique Dominique Forest, conservatrice au département moderne-contemporain. D’un côté donc, « Danese, éditeur de design à Milan, 1957-1991 », évoque, en quelque deux cents pièces, le travail d’un éditeur exemplaire de 1957 à 1991, année où les fondateurs Bruno Danese et Jacqueline Vodoz ont cédé leur société. Cette partie, qui reprend l’exposition éponyme présentée en 2005, au Musée de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne (lire le JdA n°212, 1er avril 2005, p. 12), constitue une illustration parfaite du second volet de la démonstration, intitulé « Pour un pour tous, l’édition en question ». Ce dernier montre, à travers quelques exemples choisis, comment, au cours de sa vie, un produit évolue pour garantir sa diffusion.
L’esprit de cette seconde partie tient tout entier dans cette affiche de Savignac Est-ce bien un vrai Bic ? accrochée dans la première salle : une réclame pour le célèbre stylo-bille où l’on voit un Sherlock Holmes en train d’en inspecter un à la loupe. C’est un peu le même type d’attention qui est ici sollicitée, afin de comprendre les destins divers des objets, modelés par des changements imperceptibles ou au contraire radicaux, au gré des matériaux dont ils sont faits ou des aléas de la production.
Du prototype à la série
L’édition serait donc cette équation complexe qui consiste à métamorphoser un prototype en produit de série. Un cas d’espèce est ainsi décortiqué au travers du designer Ron Arad. Sa bibliothèque autoportante This Mortal Coil, pièce unique en acier, a d’abord inspiré la bibliothèque murale Bookworm en métal, puis celle en PVC teinté, éditée aujourd’hui « au kilomètre » par la firme Kartell – « 250 000 exemplaires vendus depuis 1994 ». Si les raidisseurs de la version métallique pouvaient loger un livre, en revanche, ceux de la version plastique en sont incapables. Preuve en est le passage à la grande série qui nécessite, en général, quelques « adaptations ». Certaines de ces modifications sautent aux yeux, comme avec la chaise La Fourmi à trois pieds d’Arne Jacobsen qui, faute de stabilité suffisante, a dû adopter une quatrième « patte » sous peine de mise hors circuit. D’autres se voient moins. Des versions du traditionnel verre Harcourt (Baccarat) sont affublées, par les Tsé Tsé Associées, d’infimes traces de doigts ou d’une transparente toile d’araignée. La fameuse Chaise longue (Le Corbusier/Jeanneret/Perriand), elle, se métamorphose subrepticement, entre 1928 et 1983. De la version Thonet d’origine à celle fabriquée par Cassina, les semelles des pieds s’effilent, puis disparaissent pour réapparaître plus tard, les fixations se perfectionnent, le cuir change… Or, qui dit changement ne dit pas forcément amélioration, le passage à la production en série pouvant parfois altérer les qualités originelles. Ainsi, ce verre de Kaj Franck arbore-t-il des nuances magnifiques lorsqu’il est soufflé à la main, beaucoup moins quand il est pressé dans un moule automatique. De même pour la chaise Panton de Verner Panton qui, dans sa version actuelle en polypropylène (Vitra), assure peut-être sa rigidité, mais perd de son élégance d’antan.
Le plus rassurant, au final, est de voir qu’il n’y a pas de règle pour qu’un produit perdure. Le célèbre verre gigogne Duralex a poursuivi, depuis 1946, son « bonhomme de chemin » sans varier d’un iota. Et personne ne connaît l’auteur de la Chaise de jardin, ni d’ailleurs, celui de la Chaise d’école. Pourtant, leur succès ne se dément pas. Idem pour la lampe articulée Jieldé, invention d’un quasi inconnu – Jean-Louis Domecq – qui lui aura pourtant légué ses initiales…
Le choix restreint de pièces et une scénographie sobre renforcent la clarté du propos. « Nous avons volontairement éliminé les dessins préparatoires, l’idée étant de regarder précisément les pièces pour ce qu’elles sont », résume Dominique Forest. Sans oublier, toutefois, que l’une des clés de l’édition n’est point abordée ici : la question du prix.
- Commissariat : Dominique Forest, conservatrice au département moderne-contemporain du Musée des arts décoratifs (« L’Édition en question »), Magali Moulinier et Chantal Prod’Hom (« Danese »). - Scénographie : Nestor Perkal (« L’Édition en question »), Carole Guinard (« Danese »).
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Destins d’objets
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°248 du 1 décembre 2006, avec le titre suivant : Destins d’objets