Dans le cadre d’une exposition d’objets, principalement des sièges, le Musée Dapper a convié douze créateurs œuvrant aujourd’hui sur le continent noir.
PARIS - De prime abord, le titre de l’exposition a de quoi étonner : « Design en Afrique, s’asseoir, se coucher et rêver ». Certes, le musée Dapper donne un brin dans la vantardise, mais pas complètement, avec cette présentation étrange qui mêle œuvres anciennes et création actuelle. Design oblige, et malgré la présence de pièces antiques admirables telle une myriade de repose-tête, nous nous intéresserons plus particulièrement à la partie contemporaine, en l’occurrence le travail d’une douzaine de designers africains. Certains sont peu ou pas connus, d’autres sont notoires comme le Sénégalais Balthazar Faye et le Malien Cheick Diallo, qui avaient participé, en 2005, à l’exposition sur l’art contemporain africain « Africa Remix » présentée au Centre Pompidou, à Paris. Diallo, en outre, a eu droit l’an passé à une rétrospective au Musée Mandet à Riom (Puy-de-Dôme).
De quelle manière les créateurs africains se situent-ils dans le monde du design ? Il suffit de regarder les pièces pour comprendre que la création mobilière, en Afrique, n’est pas un long fleuve tranquille. Pour la critique d’art Joëlle Busca, co-auteur du catalogue de l’exposition, le constat est clair : « L’Afrique s’inscrit avec difficulté dans les deux secteurs principaux du design : la production industrielle de basse qualité et le design industriel de haute technologie. Des marchés locaux au pouvoir d’achat très faible, une industrie clairsemée, un déficit important de circulation et de moyens de communication, une très forte présence de produits venus d’Asie en sont les causes. Le modèle occidental de bien-être basé sur la consommation et alimenté par l’obsolescence programmée et le flux incessant de nouveautés ne convient pas. » Bref, le handicap est plus ou moins lourd selon les pays. Il faut en tout cas se sortir de la tête l’idée d’un processus de production ultra-rodé et hautement technologique auquel nous a habitué le continent européen. « La plupart [des corps de métier avec lesquels je travaille] ne savent pas lire un dessin, il faut donc réfléchir à une méthode plus pragmatique, comme la maquette », explique Cheick Diallo, 53 ans, dans une vidéo. Le design africain est une activité qui s’invente in situ et au quotidien, grâce à des créateurs engagés. Évidemment, on ne peut éviter quelques pièces un peu kitsch, tels le fauteuil Sie de Vincent Niamen (Côte d’Ivoire), faux trône aux lignes épurées, le fauteuil Mobutu d’Iviart Izamba (ex-Zaïre, aujourd’hui République démocratique du Congo), avec sa peau de léopard, ou la commode Cadre d’union d’Alassane Drabo (Burkina Faso), dont la silhouette représente… le continent noir.
Masque et thermoformage
Parfois le dessin apparaît plus subtil, mais la citation est transparente. Ainsi pour ce tabouret Tombouctou en wengé massif dessiné par le Camerounais Jules-Bertrand Wokam, 40 ans, lequel arbore une série de petits « picots ». Le siège, qui s’inspire directement des bouts de bois en saillie transperçant la façade en terre de la mosquée de Jingereber, au Mali, est une belle pièce d’artisanat. Mais la référence peut être moins littérale. Avec son allure anthropomorphique – deux « yeux » évidés et deux « cornes » effilées –, la bibliothèque Ngil, en okoumé, de Christian Ndong Menzamet, 54 ans, et Antonio Pépin, 57 ans, ressemble aux grands masques de cérémonie. Bien qu’ils se nourrissent de la culture de leur pays, le Gabon, les deux designers usent, pour fabriquer ce meuble, de techniques on ne peut plus modernes, comme le thermoformage et la découpe de bois par laser.
Sur un continent où les ressources et les moyens manquent, le recyclage est nécessairement de mise. Avec des tubes galvanisés et des morceaux de fûts de pétrole, le Sénégalais Ousmane Mbaye, 38 ans, façonne une chaise et un rangement haut, à la façade colorée.
User des savoir-faire traditionnels en les orientant vers une écriture contemporaine est également une voie. Balthazar Faye, 49 ans, réalise ainsi l’étonnant fauteuil Accolade, constitué d’éléments de contreplaqué d’aviation moulé à froid sous vide d’air, reliés entre eux grâce à de la corde. Avec sa Chaise trop courte, l’Ivoirien Issa Diabaté, 44 ans, interroge non sans dérision la nature même du siège, la manière de s’asseoir et la stabilité de l’objet. L’assise, qui possède des pieds très longs à l’avant et rien à l’arrière, se révèle bancale. Son ergonomie remet en question sa fonction première, alors qu’elle valorise son esthétique. Tout le dilemme du design est concentré là !
jusqu’au 14 juillet, Musée Dapper, 35 bis, rue Paul-Valéry, 75016 Paris, tél. 01 45 00 91 75, www.dapper.fr, tlj sauf mardi et jeudi 11h-19h. Catalogue, 180 p., 27 €.
Commissaire de l’exposition : Christiane Falgayrettes-Leveau, directrice du Musée Dapper Nombre de pièces : une centaine
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Design d’Afrique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°385 du 15 février 2013, avec le titre suivant : Design d’Afrique