Tour des galeries

Des pièges pour l’œil

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2011 - 721 mots

À Paris, plusieurs artistes s’amusent de chausse-trappes visuelles et mentales dans la réception de leurs travaux.

PARIS - Les hasards de la programmation font que plusieurs artistes visibles dans les galeries parisiennes ces temps-ci s’intéressent, avec des stratégies et moyens divers, aux pièges et aux ambiguïtés du regard, interrogeant par là même occasion de possibles ailleurs.

Toujours avare de commentaires dans ses œuvres, Pierre-Olivier Arnaud livre chez Art : Concept un accrochage d’une sécheresse apparente, puisque constitué de seulement cinq affiches offset en noir et blanc. L’esthétique est réduite à des jeux de gris sur fonds tramés. Les motifs sont ténus, quand ils n’ont pas tout simplement disparu au profit d’une abstraction pure. Or c’est cette impossibilité à les situer qui rend ces œuvres captivantes, cette difficulté à les lire qui offre à l’œil des perspectives. Au-delà du visuel, le presque rien se charge d’une nouvelle dimension, mentale celle-là, en convoquant un espace autre. Le titre de l’exposition, « D’ici-là », confirme cette éloquence retenue, cette rétention à la définition, cet entre-deux volontaire, et cette capacité de projection qui s’amuse d’une ambiguïté entre le temps et le lieu. 

Interroger la foi en l’image
Une forme d’au-delà est également à l’œuvre chez Bettina Samson. Phénomènes de vision et d’apparition du motif, existence possible d’une réalité, manifestation de l’infime ou de l’invisible sont autant de terrains arpentés par l’artiste dans son travail. 

À la galerie Sultana, Bettina Samson propose un accrochage radical, « Fedor Poligus, les preuves du feu », où se succèdent des céramiques lustrées à l’aide de platine reproduisant, agrandis, de minuscules fragments d’iridium, minerai essentiellement présent dans les météorites (L’Éclat, 2011). Elle en donne là une visualisation possible et fascinante, de l’infime perdu dans un infini imperceptible. Magnifiquement séduisants sont en outre les clichés noir et blanc qui semblent documenter, au mur, des formes similaires. De similarités il n’y a pourtant point, et l’artiste se joue là encore du regard et de la perception afin de donner à percevoir, et non à voir, un phénomène physique qui n’est pas une représentation. Car ces images ne sont pas de simples prises de vue d’un minerai quelconque, puisqu’elles résultent de la pose d’une pierre faiblement radioactive sur le film (Comment Henri Becquerel découvrit la radioactivité, 2008). Nulle représentation ici donc, mais le fruit d’une expérience physique, d’une réaction à la matière. L’œil est trompé.

À la galerie Schleicher Lange, Laurent Montaron questionne lui aussi les pseudo-certitudes du regard. Ainsi une photographie de grand format donne-t-elle à voir un ciel étoilé capturé depuis l’intérieur d’un planétarium (Minolta Planetarium MS-15, 2011). L’ombre d’une curieuse machine apparaît à la surface et transforme le tout en laissant s’installer le doute. Devenue soudain un espace indéfini, visuellement proche d’une scène de théâtre où le regard aurait peine à savoir ce qui se joue, l’image questionne la possibilité d’une représentation du monde. Dans une autre salle, un film 16 mm diffusé au ralenti, Sainte Bernadette (2011), focalisé sur le visage de la sainte dont le corps est conservé intact à Nevers, instille le trouble : le statut de l’objet offert au regard reste en effet ambigu, si ce n’est indéfinissable. Mais encore, il pose crument le problème de la croyance, spirituelle autant que visuelle : dans quelle mesure peut-on avoir foi en l’image ?

À la galerie Chantal Crousel, c’est l’Américain Seth Price qui manipule le visuel, avec une démarche qui s’ingénie ici à brouiller les pistes, comme souvent dans l’ensemble de son œuvre. L’artiste défie l’idée de motif à travers le recyclage, l’appropriation et la duplication. Plaques de plastique thermoformé imprimées d’un croquis avant d’être peintes, les tableaux exposés ici intègrent tous des cordes dont le hasard a décidé de la disposition. C’est dans la répétition sérielle d’objets finalement tous différents, et dans lesquels se mêlent réel (la corde ) et abstraction (la peinture), que réside le statut indéfini d’une image, dans sa diffusion autant que dans sa réception.

Art : Concept, 13, rue de Arquebusiers, 75003 Paris, du mardi au samedi 11h-19h, www.galerieartconcept.com

Galerie Sultana, 12, rue de Arquebusiers, 75003 Paris, du mardi au samedi 11h-19h, www.galeriesultana.com

Galerie Schleicher Lange, 12, rue de Picardie, 75003 Paris, du mardi au samedi 14h-19h, www.galerieschleicherlange.com

Galerie Chantal Crousel, 10, rue Charlot, 7500 Paris, du mardi au samedi 11h-13h, 14h-19h, www.crousel.com Toutes les expositions sont à voir jusqu’au 30 avril.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°345 du 15 avril 2011, avec le titre suivant : Des pièges pour l’œil

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