La première et seule fois que nous avons croisé David Shrigley, c’était à Reims, dans le monde d’« avant » : l’artiste britannique y présentait début mars sa collaboration avec Ruinart, qui lui avait confié une carte blanche.
Nominé pour le Turner Prize en 2013, exposé dans le monde entier, Shrigley, connu comme l’un des artistes visuels les plus caustiques de sa génération, s’était fait, ces derniers temps, plus discret. Invité par la maison de champagne à en livrer une interprétation artistique, il a procédé comme à son habitude, sans plan préalable, promenant sa longue silhouette juvénile dans les vignes, arpentant les crayères souterraines et puisant dans ses observations l’inspiration pour un ensemble de trente-six dessins et gouaches, ainsi que pour un coffret de jéroboam en édition limitée reconvertible en rafraîchissoir. Le tout résumé par l’intitulé « Unconventional Bubbles/Bulles singulières ».
Quelques semaines plus tard, au printemps, Shrigley quittait son appartement de Brighton pour passer le confinement en bord de mer dans sa petite maison du Devon, au sud-ouest de l’Angleterre, emportant avec lui des rames de papier blanc afin de se livrer à son activité de prédilection : le dessin. Lorsqu’on les a vus une fois, on reconnaît immédiatement ses croquis naïfs, parfois désarmants, souvent accompagnés d’un titre ou d’un commentaire pince-sans-rire. Sur Instagram et sur Twitter, l’humour décalé de ses vignettes en lien avec l’actualité, en couleur ou noir et blanc, lui valent des dizaines de milliers d’abonnés. Et son galeriste Stephen Friedman a écoulé comme des petits pains les encres sur papier de sa série Lockdown (vendues 2 500 livres sterling chacune). Si le dessin est au cœur de la pratique de Shrigley, le regard drôle et acerbe qu’il porte sur le monde peut aussi se traduire par des peintures, des sculptures, des installations, des photographies, des vidéos d’animation ou des projets de collaboration musicale. En 2019, artiste invité du Heartland Festival au château d’Egeskov, il créa pour l’événement le Swan Thing, une sculpture gonflable de 13 m de hauteur au cou curieusement érectile, pour un résultat que l’artiste lui-même qualifia de « ridiculous ».
Plus sérieusement ? En 2016, juste après que les Anglais ont voté pour le Brexit, le socle de Trafalgar Square accueillait Really Good, qui resta en place jusqu’en mars 2018. Dans cette main de bronze au pouce démesurément dressé, il semblait alors difficile de ne voir qu’un geste plein d’optimisme – « Phallique, disgracieux et hystériquement insistant », commenta The Guardian avec enthousiasme. Jusqu’au 30 décembre 2020, c’est au centre international d’art contemporain de Copenhague (Copenhagen Contemporary) que l’on peut voir l’une des plus grandes installations de cet amateur de canular visuel : Do Not Touch The Worms. Soit une vingtaine de tubes roses aux allures de lombrics qui se dressent et retombent au rythme d’un dispositif leur insufflant la vie, vision que surplombe une horloge matérialisant le compte à rebours de chaque cycle. Un memento mori pour rire. Tout l’art de David Shrigley est là.
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David Shrigley
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°737 du 1 octobre 2020, avec le titre suivant : David Shrigley