Gaîté Lyrique - L’un des principaux effets de la révolution numérique serait d’avoir donné congé au corps.
Rivé à des écrans, celui-ci serait désormais voué à l’immobilité. En sursollicitant la vue, le monde digital aurait aussi généralisé la distraction et l’inattention. Il viendrait, à ce titre, nourrir en retour un besoin de contact, pour reprendre le titre d’un ouvrage du philosophe américain Matthew B. Crawford. C’est à cet endroit précis que se noue l’œuvre multiforme d’Adrien M & Claire B, auxquels la Gaîté Lyrique consacre actuellement une exposition. Précisément intitulée « Faire corps », celle-ci rassemble une série d’installations de la compagnie depuis sa création en 2011. Elle se prolonge au Théâtre national de Chaillot, à la Philharmonie de Paris et dans diverses institutions, au gré d’une double tournée consacrée à Équinoxe et à Acqua Alta. Elle donne également lieu à l’édition d’un livre en réalité augmentée, lui aussi intitulé Acqua Alta. L’activité du duo se déploie en effet dans divers champs esthétiques. En cela, elle échappe délibérément aux catégories et aux cloisonnements, pour mieux créer un continuum entre les espaces et les mondes et sonder les possibles ouverts par les technologies.Un trait commun unit en effet les diverses productions Adrien M & Claire B : la volonté d’expérimenter un autre régime numérique, fondé sur le mouvement des corps et sur l’attention au monde. « Nous sommes convaincus que la technologie peut servir la relation au vivant et dérouler une puissance magique, que l’on pourrait nommer “technomagie” », expliquent-ils. S’ils mobilisent un large éventail de technologies, c’est pour mieux créer les conditions d’une expérience sensible et incarnée. « Nous avons l’espoir de rendre la technologie plus humaine », confiaient-ils le jour du vernissage de « Faire corps ». Déambuler à la Gaîté Lyrique équivaut de fait à éprouver tout autrement le monde digital. Placé sous le signe de l’eau, le parcours de l’exposition déroule une succession de dispositifs synesthésiques, qui libèrent le mouvement et le souffle, sollicitent l’ouïe et le regard. Dans L’Ombre de la vapeur, présenté l’été dernier à la Fondation Martell (Cognac), la projection de particules de lumière sur un paysage nuageux crée un écosystème onirique. Dans les fantômes de Pepper disposés plus loin, des assemblages de lettres deviennent des organismes vivants noués à un morceau de bois ou à un galet. Le dispositif illusionniste annule la séparation entre nature et culture, entre matière et langage. Il ouvre la possibilité d’un nouvel animisme. Pour réenchanter et réincarner les technologies, Adrien M & Claire B mobilisent aussi l’interactivité. Chez eux, cette catégorie un peu usée des arts numériques devient invitation à faire corps, justement, avec les œuvres présentées. Aux antipodes de la démonstration technologique, leurs installations plongent le visiteur dans un monde fluide et ondoyant. Leur façon particulière de réagir au mouvement suggère à qui les traverse des chorégraphies, des virevoltes et des tournoiements. À l’instar d’Emma Goldman, elles invitent en somme à danser la révolution numérique. Sinon, à quoi bon une telle révolution ?
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Danser la révolution
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°732 du 1 mars 2020, avec le titre suivant : Danser la révolution