Artiste plasticien, chorégraphe, metteur en scène… Jan Fabre est partout, sur tous les fronts, comme en témoigne sa forte actualité à Paris et en Belgique. Il nous a ouvert les portes du Troubleyn Laboratorium, habituellement tenues jalousement fermées…
Anvers est le lieu de naissance de Jan Fabre et Seefhoek le quartier populaire du nord de la ville où il a grandi et où il vit toujours. La maison de ses parents, désormais occupée par l’une de ses sœurs, est située à quelques rues de son atelier, de sa propre demeure et de Troubleyn Laboratorium, vastes espaces d’une ancienne école et d’un vieux théâtre que la ville lui a mis à disposition. À l’intérieur sont domiciliés les bureaux administratifs d’Angelos, la structure de Jan Fabre dédiée aux arts visuels, mais surtout Troubleyn, la troupe de théâtre que le scénographe a fondée en 1986. Non loin de là se loge, tout aussi discrètement, l’atelier de Panamarenko.
Partout les traces de sa fidélité en amitiés
Seefhoek est donc le territoire des créations de Jan Fabre. « Anvers a été mon terrain de jeu, ma première scène, ma toile, ma première maîtresse. J’en connais chaque coin et recoin », dit-il en évoquant ses transformations mais aussi ses évolutions politiques marquées depuis sa jeunesse par l’essor progressif du parti d’extrême-droite Flemish Militant Order, prédécesseur du Vlaams Blok (Vlaams Belang) et de son satellite l’Alliance néo-flamande (N-VA) dont le leader Bart De Wever est aujourd’hui le maire d’Anvers. Jan Fabre confie n’avoir pour autant jamais envisagé de quitter la ville. « Au contraire, il est important de rester, de former une résistance », souligne-t-il. « L’art est un espace de doutes et de recherches qui contient beaucoup d’espoirs. Il n’existe dans l’art qu’une seule couleur, celle de la liberté, synonyme de résistance spirituelle. »
Troubleyn, c’est le nom de sa mère. Cela signifie, en vieux flamand, « rester fidèle ». Au-dessus du portail métallique donnant accès au Laboratorium, le nom se dessine discrètement en une écriture déliée. Pousser la porte d’entrée, franchir l’allée qui mène à ses divers espaces et passer quelques heures dans cet univers où règne un doux esprit communautaire fait comprendre ce que revêt le terme. Le parcours de la quarantaine d’œuvres commandées et créées in situ, comme les photographies de ses parents, d’amis ou de la troupe que l’on retrouve d’un espace à un autre, ramènent régulièrement à l’art, à l’amitié et au rôle de chacun dans sa vie. À commencer par le couple formé par son père et sa mère qui fut à l’origine de sa vocation. Dans la cuisine attenante aux bureaux administratifs, Spirit Cooking de Marina Abramovic, réalisée à partir de sang de cochon, rappelle leur travail en commun. Non loin de là, la photographie de Carl De Keyzer placée au sol de l’entrée du bureau d’Angelos renvoie à une autre complicité. Dans la salle de danse, la plaque d’Orlan qui commémore sa performance réalisée ici en 2007 n’est pas sans lien avec leur amitié née en 1982 lors du festival performance que l’artiste française avait créé à Lyon avec Hubert Besacier. Ailleurs, dans le long corridor du théâtre, la sculpture d’une enfant enceinte aux visage et corps ensanglantés reliée à la fresque de son fantôme rappelle, quant à elle, la violence du monde dénoncée par Jan Fabre dans son œuvre.
Toute la compagnie mobilisée autour d’une pièce de 24 heures
À Troubleyn Laboratorium, les espaces réhabilités par l’architecte Jan Dekeyser réfléchissent l’entente et les heures passées en répétition, en montage de spectacle ou travaux administratifs. Ce matin, le danseur Antony Rizzi, pour lequel Jan Fabre a écrit le monologue dansé de Drugs Kept Me Alive, officie aux courses et aux repas du jour que la troupe prendra ensemble à 18 h. Demain, ce sera à un autre membre de la compagnie de s’y atteler, selon l’organisation mise en place par l’artiste dans le cadre de sa nouvelle création, Mount Olympus. To Glorify the Cult of Tragedy, pièce d’une durée de 24 heures. Depuis trois ans, la pièce mobilise une bonne partie de l’équipe de Troubleyn. La première représentation est programmée en juin dans le cadre du Berliner Festspiele-Foreign Affairs. Elle engagera sur scène l’ensemble de la compagnie et celle d’Angelo. Katrien Bruyneel, en charge des activités du spectacle vivant, et Barbara de Coninck, responsable des expositions, y tiendront un rôle. En attendant, figures historiques de la compagnie et nouveaux visages s’échauffent dans le grand hall d’entrée avant de répéter sur la scène du vieux théâtre ; d’autres discutent à proximité dans de grands fauteuils en cuir. Les retardataires sont accueillis chaleureusement, comme chacun ici. La concentration prévaut dans ces vastes espaces où se distribuent sur différents niveaux couloirs et escaliers, terrasses, loges, salles d’entraînement et de répétition, salle de musique (gardienne de la collection de vinyles du père de Jan Fabre) et cuisines avec espaces de repas. Les bureaux administratifs d’Angelo et de Troubleyn, installés côte à côte, occupent chacun une ancienne salle de classe. Les tableaux de l’ancien établissement scolaire ont été conservés. Comme les murs tapissés d’affiches de spectacles ou d’expositions de l’artiste, leurs inscriptions, photographies et unes de magazine reflètent ses créations passées, présentes et à venir qui mobilisent actuellement une quarantaine de personnes au total.
Un espace de travail préservé des regards
Le premier semestre s’avère d’ores et déjà plus que chargé entre l’exposition à la galerie Templon à Paris, « Facing Time » à Namur, « Stigmata » au M HKA à Anvers et la préparation de l’exposition de Jan Fabre au Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg programmée en 2016. « Mes actions, performances, dessins et sculptures sont basés sur l’énergie et sur ce que je tire de mes propres expériences », explique Jan Fabre dans l’entretien réalisé par Germano Celant, curateur de « Stigmata » qui sera la première rétrospective de son œuvre. « Les travaux des années 1970 et 1980 sont la prolongation de mes doutes, de mes recherches, de mon extrême nervosité, de ma violence et de ma vitalité », explique-t-il dans le long entretien inséré dans le catalogue d’exposition édité par Skira et rassemblant l’ensemble de ses performances et créations pour la scène depuis 1976. Jan Fabre est connu par son équipe pour être un créateur infatigable. Pour cet insomniaque, la nuit est l’espace-temps du dessin et de l’écriture. Il n’arrive guère avant 13 h à Troubleyn. Ce qui se passe avant et après appartient à l’intime que préserve soigneusement son entourage.
Les demandes de visites de l’atelier où se conçoivent et se réalisent toutes les pièces de Jan Fabre, en particulier ses dernières grandes fresques en scarabées actuellement présentées à la galerie Daniel Templon, sont systématiquement rejetées. La demande de la reine Fabiola elle-même, en son temps, fut aimablement déclinée. Situé à un quart d’heure à pied de Troubleyn, Angelos demeure l’endroit secret où, avec ses deux assistants, il concrétise ses visions spectaculaires du capitalisme, de la société de consommation, de la colonisation belge ou du racisme. La beauté, la curiosité et les expériences poussées aux limites des capacités physiques et mentales sont les moteurs, depuis le début, de cet homme qui ne s’est jamais départi de sa simplicité ni de sa délicatesse malgré le succès.
1958 Naissance à Anvers (Belgique)
1984 Biennale de Venise
2002 Revêt le plafond de la salle des Glaces du Palais royal de Bruxelles de 1,4 million de carapaces de scarabées
2008 Invité du Louvre
2015 Exposition à la galerie Templon à Paris
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Dans l’univers de Jan Fabre
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Abonnez-vous dès 1 €« Hommage à Jérôme Bosch au Congo. Hommage au Congo belge », du 28 février au 11 avril 2015. Galerie Daniel Templon à Paris. Ouvert du lundi au samedi de 10 h à 19 h. www.danieltemplon.com
« Rops/Fabre – Facing time », Mons 2015, du 14 mars au 30 août 2015. À Namur (Belgique). Musée Félicien Rops, Maison de la culture, église Saint-Loup et dans la ville.
« Preparatio Mortis », le 6 mai 2015, et « Le pouvoir des folies théâtrales », les 8 et 9 mai 2015, au Théâtre royal de Namur (Belgique).
« Stigmata », du 24 avril au 26 juillet 2015, commissariat par Germano Celant. À Anvers (Belgique). www.muhka.be
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°677 du 1 mars 2015, avec le titre suivant : Dans l’univers de Jan Fabre