À Bâle, la Fondation Beyeler expose dans un parcours subtil les liens formels et conceptuels entre la sculptrice, les artistes modernes et ses contemporains.
BÂLE - Dans les jardins de la Fondation Beyeler, à Bâle, la grande araignée Maman accueille les visiteurs et les entoure de sa présence obsédante. Le 25 décembre prochain, sa créatrice, Louise Bourgeois, aurait fêté ses 100 ans. Pour célébrer l’événement, l’institution avait débuté une collaboration avec l’artiste, avant sa mort survenue en mai 2010 à l’âge de 98 ans. Le projet s’est poursuivi sans elle, grâce à la volonté de ses collaborateurs.
« Louise Bourgois, À l’infini » est un parcours intime, conçu volontairement comme un dialogue entre l’artiste et ses contemporains présents dans la collection permanente de la Fondation. Selon Ulf Küster, commissaire de l’exposition, Louise Bourgeois aimait brouiller les pistes, réfuter les influences, mais a toujours porté un regard attentif sur la création de son époque, en particulier la création américaine, qu’elle aimait paradoxalement dénigrer. Sculptures, dessins, installations, les œuvres choisies traversent sa carrière, des années 1940 aux années 2000, témoignages d’une création complexe, largement autobiographique et passionnelle.
De sa formation parisienne dans l’atelier de Fernand Léger, Louise Bourgeois tire sa passion pour la tridimensionnalité, la conscience de l’espace et la possibilité du mouvement. Red Fragmented Figure (1953), sculpture composée de cales de bois rouges empilées sur une tige mécanique, est particulièrement bien mise en relation avec Contraste de formes (1913), une toile de Léger où l’empilement des formes sur la surface picturale prend littéralement corps dans l’œuvre de son élève.
Certaines juxtapositions semblent pourtant moins pertinentes : ainsi de la confrontation entre The Blind Leading the Blind (1947-1949) et Uriel de Barnett Newman (1954). L’œuvre de Louise Bourgeois, sorte de peigne de tapissier (métier de son père) constitué de morceaux de bois, à l’apparence régulière mais rempli d’imperfections, relève de l’équilibre instable : sa cohésion d’ensemble tient du mirage pour qui regarde de plus près. En comparaison, le tableau de Newman tranche par son aspect monolithe.
Plus intéressante est la confrontation avec les œuvres d’Alberto Giacometti. Cell XVII (Portrait) (2000) semble constituer une traduction littérale en trois dimensions des portraits de Giacometti datés des années 1960. Dans une cage en fer, la sculptrice enferme une tête osseuse et couturée de tissu noir. Ce motif de la cage est récurrent dans l’œuvre de Giacometti, son trait intense et fort trouvant écho dans la violence de l’installation de Bourgeois. Formellement et intellectuellement, les œuvres se rejoignent.
Thèmes universels
Plus loin, À l’infini (2008), œuvre éponyme de l’exposition, jamais montrée au grand public, est mise en relation avec L’Homme qui marche. Les 14 gravures grand format de Bourgeois, où la teinte rouge prédomine, nous plongent dans l’inconscient de l’artiste et sa vision de la destinée humaine. Lignes et courbes entrelacées tissent des liens entre individus, des rapports emplis de sens cachés, presque mystiques. Mythe de la création, Descente aux Enfers…, autant de thèmes à la portée universelle. De même, la sculpture de Giacometti, dans un travail formel sur les lignes et le mouvement, nous renvoie à la caractérisation de l’humain dans sa réalité essentielle.
Enfin, il y a Louise et seulement elle : The Insomnia Drawings d’abord, magnifiquement mis en scène à l’étage inférieur de la Fondation. 220 dessins de l’artiste, exécutés de novembre 1994 à mai 1995, lorsque le sommeil la fuit. Femme enfant en perpétuel déséquilibre, Louise Bourgeois crée et extirpe d’elle-même images et mots obsessionnels, pour mettre en forme son inconscient. Après cette incursion, une des Cells les plus marquantes de la célèbre série de cages de l’artiste, Passage dangereux (1997), clôt le parcours. Très connue, la cage n’a rien perdu de son intensité, toujours chargée de violence et d’émotions brutales, dans une pénombre propice au recueillement.
Selon Sam Keller, directeur de la Fondation, « en tissant des liens entre l’art moderne et contemporain, dans ces liens amicaux, conceptuels et formels, et dans son art d’assembler des contraires sans renoncer à son ambiguïté », Louise Bourgeois aura profondément marqué son siècle. À Bâle, elle se dévoile en se dérobant et se révèle pudique dans son impudeur
jusqu’au 8 janvier, Fondation Beyeler, Baselstrasse 77, Riehen/Basel, Suisse, tél. 41 61 645 97 00, tlj, 10h-18h, mercredi jusqu’à 20h, www.fondationbeyeler.ch
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Dans l’intimité de Louise Bourgeois
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaire d’exposition : Ulf Küster, conservateur à la Fondation Beyeler
Nombre d’œuvres de Louise Bourgeois : 15
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°353 du 23 septembre 2011, avec le titre suivant : Dans l’intimité de Louise Bourgeois