À l’honneur à la Cité de l’architecture et du patrimoine, Claude Parent a préféré le camp de l’utopie à celui des grands ensembles
Dans la mise en scène des grands architectes réalisée l’an dernier par Xavier Veilhan à Versailles, Claude Parent était reconnaissable à son habit d’académicien, détaillé au bouton près. Car l’immortel est coquet et précieux, à la manière d’un Jean-Claude Brialy. Comme le comédien, l’architecte garde le verbe haut, sans jamais perdre de sa civilité. Dandy libéral et provocateur, il cultive un certain savoir-vivre, appréciant belles autos et belle mise. Comme le souligne l’architecte Jean Nouvel, Parent pourrait remporter un concours d’élégance !
À Versailles, Veilhan avait judicieusement placé le doyen à l’avant-poste de ses confrères. Car la force de son utopie a ouvert une brèche, parfois inavouée, pour nombre de ses confrères. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les rampes de Zaha Hadid ou le déconstructivisme de Daniel Libeskind. Starisé un temps, Parent a pourtant été marginalisé avant d’être oublié. « Il n’a pas beaucoup construit de bâtiments publics, et à cause de cela, on passe à côté de son œuvre qui est aussi écrite, parlée, esquissée, discutée », regrette le critique d’art Gilles de Bure. Arrivant sur le tard, la rétrospective organisée du 20 janvier au 2 mai à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, entend bien réparer cet oubli.
Amoureux de la vitesse
Claude Parent est l’homme d’une famille, qu’il qualifie lui-même de « petite bourgeoise, mais en mouvement ». Feu son frère Michel, inspecteur général des Monuments historiques, lui a apporté le poids de l’histoire. Chorégraphe, sa sœur Nicole insuffle de la légèreté. Claude, lui, s’inscrit à l’école des beaux-arts de Toulouse. Mais cet amoureux de la vitesse se lasse vite de dessiner des pilastres. L’étudiant ronge son frein en se créant un bagage culturel dans les milieux bohèmes parisiens. Il trouve en Ionel Schein le compagnon de gueulantes rêvé. Ensemble, ils ouvrent une agence d’architecte en 1953. « Quand il arrive sur la scène, le champ est partagé entre l’architecture plastique de Le Corbusier et l’architecture réglée de Mies van der Rohe. Il va essayer de trouver sa voie », rappelle Francis Rambert, co-commissaire de la rétrospective à la Cité de l’architecture. De Le Corbusier, Parent retient le travail sur la masse. Mais son cœur penche du côté de la rampe de Frank Lloyd Wright au Guggenheim Museum de New York. Son chemin, il le trace à coups de dialogue, ou de gueule. La discussion l’aide à structurer et affiner ses idées. Aussi affectionne-t-il le fonctionnement en duo, avec Ionel Schein dans un premier temps, puis avec André Bloc, rédacteur en chef de la revue Architecture d’aujourd’hui qui lui ouvrira ses pages.
Avec l’ancien maître verrier devenu philosophe Paul Virilio, ce sera le mariage de la carpe et du lapin, du théoricien et de la boîte à idées. « Ces deux hommes n’avaient rien pour se rencontrer, analyse Frédéric Migayrou, co-commissaire de l’exposition à la Cité. Parent a une pensée spatiale, une vision ontologique de l’espace. Virilio est imprégné de la Gestalt théorie. Pour lui, la forme est psychophysique. » Les deux personnages ont toutefois un point commun : la colère. Des différends d’ordre politique signent en 1968 la rupture entre le chrétien de gauche et l’anarchiste de droite. Mais entre-temps, de leur rencontre naît l’idée de la « fonction oblique ». Le but ? Rendre les gens plus réactifs à leur cadre de vie, car le plan incliné bascule le regard, change le sentiment du volume et de la surface. Le manifeste ? L’église de Sainte-Bernadette du Banlay à Nevers (Nièvre), calquée sur le modèle des bunkers qui fascinaient tant Virilio. Le tandem met alors à nu le discours sur la militarisation et la culpabilité chrétienne. Le brutalisme de l’œuvre, le télescopage d’un symbole de paix par une image de guerre feront scandale.
Avant cette construction controversée, Parent avait déjà réalisé, pour André Bloc à Antibes (Alpes-Maritimes), une villa tout en emboîtement de formes brisées. La « fonction oblique », il l’infiltrera même dans sa banlieue cossue de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). « Il n’y a que les montagnards ou les voileux qui peuvent comprendre. C’est pour échapper au plancher des vaches », indique Parent. Mais cette « diagonale du fou » est-elle vivable ? « Quand on entre dans une maison de Wright, on est dans un paradis mystique, on est presque drogué tant tout est raffiné, homogène. C’est lénifiant, constate l’architecte Patrice Goulet. Par contre, dans une maison de Parent, c’est plus frustre, on voit une lutte contre la matière, qui vous énergise. Une maison de Parent, c’est une machine à énergie. » Comme toute utopie, la « fonction oblique » exige la foi du croyant… Mais Parent ne s’enferme pas dans un dogme, comme en atteste sa Maison de l’Iran en acier à la Cité internationale universitaire de Paris, aussi aérienne que Nevers était terrienne.
Ostracisme durable
Ce sens de l’échappée le met en phase avec ses amis artistes, Yves Klein, Nicolas Schöffer ou Michel Carrade. « Le compagnonnage des artistes m’a permis de me libérer de l’emprise de Le Corbusier. J’aimais pénétrer l’univers de Klein parce qu’il rasait tout », confie-t-il. Avec Tinguely, il imagine un projet de tour, non réalisée, à la Porte Maillot. Pour Klein, il dessine la célébration de la rencontre de l’eau et du feu dans les bassins du Trocadéro, tandis qu’il conçoit une ville cybernétique avec Schöffer. Sa fibre artistique est telle qu’en 1970 il se voit confier le pavillon français à la Biennale d’art contemporain de Venise. Il en fera une plateforme d’expérimentation de la « fonction oblique ».
À pourfendre l’académisme, à combattre l’école des beaux-arts ou l’ordre des architectes, Parent subira un ostracisme durable. Exclu de la commande publique, considéré comme fantaisiste, il jouira d’une clientèle essentiellement privée, signant en particulier des supermarchés pour son beau-père, Pierre Goulet (père de Patrice). L’architecte fait aussi les frais d’un courant postmoderne qui ne pouvait s’accommoder de ses utopies. « L’expressionnisme de Claude Parent a alors été discrédité, observe Frédéric Migayrou. La recherche pour la recherche, cette architecture quelque part célibataire, était considérée comme une utopie. On jetait le bébé avec l’eau du bain, alors même que Parent critiquait le modernisme. » De l’eau a coulé sous les ponts. Conspuées en leur temps, l’église de Nevers et la villa d’Antibes sont depuis classées… Il serait tentant de penser que Parent est apparu trop tôt sur la scène, à une ère où les architectes n’étaient pas aussi médiatisés que maintenant. L’homme aura pourtant été synchrone avec son époque. « Cette fracture interne de l’espace se retrouve dans le non-cinéma de Godard, dans les scarifications de Fontana », insiste Frédéric Migayrou.
« Éternel enfant »
L’architecte fera de l’agit’prop, en collant des affiches dans les rues en 1971 pour faire comprendre sa conception de l’espace. Deux infarctus auront toutefois raison de sa rage. Sans jamais entrer dans le moule, il évitera les vaines batailles. « C’est un radical tendre », sourit Francis Rambert. Cet homme pourtant solaire sera sollicité pour conseiller un programme de construction de centrales nucléaires. Une autre occasion de se mettre à dos l’intelligentsia ! Étrangement, le pourfendeur de l’Académie siège depuis quatre ans parmi les immortels. « C’est un éternel enfant, qui n’a jamais intrigué pour obtenir quoi que ce soit, mais il est très sensible aux honneurs de la République », confie un proche. « Mes amis ne m’ont pas donné le choix, se défend mollement l’intéressé. Plusieurs académiciens ont pensé que, dès que j’entrerai à l’Académie, j’essaierai de la démolir de l’intérieur. Au contraire, je tente de la faire revivre. »
Parent ne prend pas pour autant la pose du commandeur. « Sa plus grande qualité ? Ce n’est pas un vieux de la guerre, insiste Patrice Goulet. Il ne ressasse pas son histoire ancienne. Il est toujours sûr de lui, mais attentif aux autres. » En témoigne l’abondant courrier de jeunes étudiants ou architectes, qui lui expriment leurs doutes ou leurs désarrois et se reconnaissent dans ses fureurs et ses utopies. S’il a fermé depuis quinze ans son agence, il pratique le dessin avec jubilation, ce qui lui permet d’enrichir sa syntaxe architecturale et sa vision du monde. Une cure de jouvence et une manière de conjurer la mort. Il le dit lui-même : « Je me suis trouvé un futur au moment où les gens n’en ont plus. »
1923 Naissance à Neuilly-sur-Seine
1953 Crée son agence d’architecture
1961 Villa André-Bloc à Antibes
1963 Fonde le groupe « Architecture principe » avec Paul Virilio
1964 Église Sainte-Bernadette à Nevers
1970 Pavillon français à la Biennale d’art contemporain de Venise
1994 Ferme son agence
2010 Exposition « Claude Parent : l’œuvre construite, l’œuvre graphique » à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris (20 janvier-2 mai) ; exposition de dessins « Villes boucliers » à la galerie Natalie Seroussi, à Paris (11 février-14 mars)
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Claude Parent, architecte
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Claude Parent, architecte