BERLIN / ALLEMAGNE
Le Parlement allemand a approuvé le projet très controversé de l’artiste bulgare.
BERLIN - Christo va enfin pouvoir s’attaquer au Reichstag : le 25 février, les députés de l’Allemagne réunifiée, futurs occupants de l’édifice, ont donné leur feu vert à ce projet conçu voici vingt-deux ans. Considérée jusqu’en 1989 comme trop provocatrice à l’égard de la RDA, puisque le Reichstag jouxte le mur de Berlin, l’idée a fait son chemin depuis l’effondrement du bloc communiste : "J’ai de la chance, explique Christo, car depuis 1972, le projet n’a rien perdu de son actualité, au contraire. Avant, on l’aurait jugé en fonction de l’antagonisme Est-Ouest ; maintenant, avec la fin de la guerre froide, la réunification et le choix de Berlin comme capitale du nouveau pays et du Reichstag pour parlement, notre travail devrait s’avérer d’autant plus intéressant. Cette longue attente en valait la peine."
L’artiste emballera le bâtiment au printemps 1995, adoptant la technique dont il s’était servi pour le Pont Neuf en 1985 à Paris. L’édifice sera d’abord entouré d’une structure tubulaire qui le protégera des câbles sur lesquels seront tendus 100 000 m2 de toile en Nylon. Les travaux emploieront environ 200 "alpinistes" et autant de collaborateurs, pendant six semaines. Le Reichstag restera recouvert pendant quinze jours, au cours desquels sont attendus 500 000 visiteurs. Le coût de cette réalisation devrait s’élever à 40 millions de francs.
Le projet sera entièrement financé par la CVJ Corp., ou Christo Vladimir Javacheff Corporation, propriétaire de tous les droits liés à l’opération. La société, de laquelle Christo reçoit un salaire mensuel de 3 000 dollars (18 000 francs) et qui est présidée par son épouse, Jeanne-Claude Javacheff, vend les dessins, les maquettes et les études de l’artiste, à des prix qui oscillent entre 9 000 et 220 000 dollars (53 000 à 1 300 000 francs). Il arrive aussi qu’elle achète ses œuvres quand les cours chutent. Les dernières pièces sur le marché sont parties à des prix situés entre 180 000 et 810 000 francs. L’œuvre la plus chère proposée pour le projet allemand est une maquette de grande dimension du Reichstag empaqueté. Prix : 3 millions de dollars (18 millions de francs).
Nombreuses controverses outre-Rhin
L’emballage du Parlement fera pendant à la façade entoilée du Stadt Schloss signée Catherine Feff, qui a déjà réalisé plusieurs opérations à Paris, pour l’Arc de triomphe en particulier. Un sondage de l’Institut Allansbach, publié à la mi-mars, indique que, sur 54 % des personnes interrogées qui ont connaissance du projet, seulement 9 % y sont favorables tandis que 38 % y sont opposées. À Berlin même, ce dernier chiffre s’élève à 57 %, 12 % des habitants votant pour. Le vote favorable du Parlement a été emporté à la suite de vifs débats et grâce à un abstentionnisme élevé : 292 pour, 223 contre et 137 abstentions.
Heribert Scharrenbroich, membre du CDU, comptait parmi les députés favorables au projet, porteur selon lui d’énormes enjeux nationaux : "Avec cet empaquetage, nous pourrons enfin prouver que nous avons dépassé nos complexes historiques. Berlin reviendra ainsi sur la scène de l’art international. En cachant le Reichstag, nous serons face à l’histoire." Très réaliste, Konrad Weiss (Verts) affirmait : "Cette provocation créative ennoblit sans la diminuer l’image du Parlement allemand. Elle nous offre une liberté nouvelle en faisant de nous tous, parlementaires, un élément de l’œuvre. De plus, l’artiste, qui ne demande rien au contribuable, aidera par son projet à relancer l’activité économique de la ville."
Au nombre des opposants les plus féroces se trouve la CDU du chancelier Helmut Kohl, qui s’exprimait par la voix du chef de son groupe parlementaire, Wolfgang Schauble : "N’oubliez pas le rôle central du Reichstag dans l’histoire de notre pays et son symbolisme puissant. L’État, la collectivité, s’identifient à cet édifice : ce genre d’expérience est dangereux. Une telle opération ne risque-t-elle pas d’entamer la confiance des citoyens dans l’institution parlementaire ? Sommes-nous bien conscients que nous mettons en jeu la crédibilité de nos institutions démocratiques ? Les symboles qui représentent l’État doivent unir le peuple, alors que cette opération le divise car beaucoup ne la comprennent pas." Burkhard Hirsch, du FDP, se déclarait "scandalisé par le fait que personne n’a conscience qu’il s’agit d’un simple coup publicitaire. Si Christo parlait d’empaqueter le Capitole de Washington, ou Westminster à Londres, tout le monde s’indignerait. A ce compte-là, pourquoi ne pas emballer la porte de Brandebourg ?".
Christo, qui assistait au débat dans la tribune du public, concluait, après le vote, que ces polémiques faisaient d’ores et déjà partie intégrante du projet. L’artiste annonçait par ailleurs que le Reichstag marquerait sans doute la fin de ses projets monumentaux : "Je pense que je ferai là mon dernier grand empaquetage. J’utiliserai à l’avenir d’autres moyens d’expression".
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Christo emballe le Reichstag
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Christo emballe le Reichstag