Un an tout juste après son exposition à la galerie Chez Valentin à Paris, Carlos Kusnir est à l’affiche, à partir du 28 janvier, au FRAC [Fonds régional d’art contemporain] Basse-Normandie à Caen. L’œuvre, qui emprunte certes à la peinture, se situe bien au-delà des enjeux formels et s’affirme avec une liberté et un ton qui fait de son auteur un artiste de tout premier plan – sans bénéficier encore cependant de la reconnaissance qu’on lui doit. Né en 1947 à Buenos Aires (en Argentine), Carlos Kusnir vit depuis plusieurs années à Marseille, après avoir longtemps séjourné à Paris. De la pratique du peintre, il a la concentration du travail d’atelier, la relative lenteur, la densité. Mais aussi une liberté (de format, d’écriture, au-delà de toute idée de style), une force de frappe et un sens du rire qui donne au travail sa brillante noirceur.
Comment préparez-vous une exposition comme celle de Caen ? Avez-vous l’exposition à l’esprit quand vous travaillez dans l’atelier ?
En l’occurrence, deux démarches se croisent. L’une, développée dans l’espace du rez-de-chaussée, consiste à choisir et à présenter des pièces déjà exposées dans le passé, par exemple au FRAC PACA [Provence-Alpes-Côte d’Azur] ou au Transpalette à Bourges, et à recréer des relations entre elles. Ces pièces, surnommées ici des « meubles », sont des panneaux peints dont certaines formes débordent le cadre, et qui se tiennent non contre le mur, mais comme des fragments de décor, avec leur piétement au dos. La seule intervention se résume en l’apposition d’une teinte sur les murs de la salle, pour aider à la circulation de la lumière dans la pièce. Dans l’autre salle, à l’étage, j’ai procédé à la fois par le détail et par ensemble. Par le détail parce que j’ai développé la quinzaine de petits tableaux que je réunis là, en plus de quelques pièces anciennes, avant que s’engage ce projet d’exposition. J’ai cherché, au fil du travail, à laisser venir et à réagir à ce que la peinture elle-même laissait apparaître dans chaque tableau – qui demeure un monde autonome –, sans perdre de vue l’idée qu’il y avait là un groupe. Ensuite, cette série de tableaux s’est vraiment constituée en ensemble, réuni par un fond commun : une tapisserie peinte au mur, sur neuf mètres de long. Ce qui est commun aux deux démarches, comme à ma peinture en général, c’est que je cherche à produire des échos entre les choses, entre les tableaux, et entre le monde et les tableaux. Des correspondances qui m’étonnent, moi le premier ! Chaque tableau est comme une « ouverture d’esprit », comme on parle de « mot d’esprit », qui produit un écho entre une chose et une autre. Et l’exposition est un zoo : la beauté de chaque bête lui appartient, mais le sentiment général du zoo, c’est l’ensemble. Même si l’expo devient quelque chose comme une installation, comme un zoo, chaque fragment garde son autonomie.
L’aspect sonore, avec ses musiques qui semblent sortir du tableau, pour Superman par exemple, est-il une autre forme de mise en écho ? Vous avez eu une vie de musicien, très jeune…
J’ai donné des concerts de piano il y a longtemps, à l’âge de 16, 17 ans, mais la musique aujourd’hui, c’est surtout une couleur supplémentaire, une mise en écho de plus. Le sonore n’est pas un truc rajouté, qu’il s’agisse d’un petit extrait de Scriabine ou d’une phrase de chanson populaire : c’est l’une des couleurs du tableau. Elle transforme les autres couleurs ; elle rentre dans l’épaisseur de la peinture, fait partie de ses couches. Elle y est prise, comme certains signes – les lettres de mon nom par exemple –, à l’image des couches de la mémoire. Ce n’est pas l’épaisseur illusionniste, la profondeur qui m’intéresse, mais la question de la distance, celle du spectateur, du regard, de la mémoire, de la conscience ; celle encore qui est en jeu au théâtre, au sens où Brecht pouvait parler de distanciation. C’est ce qu’il se passe de même avec la danse contemporaine ; c’est intéressant de travailler avec les danseurs.
Tout contribue à ce côté bancal, de guingois, des tableaux, qui donne un ton général, entre désinvolture, ironie et drame, sans exclure ni le joli, ni le jeu…
Oui, mes tableaux ne la jouent pas « c’est nous l’équipe gagnante ! » En fait, je rêverais de parvenir à faire mes peintures comme Robert Walser écrit, avec ce pouvoir qu’il a de passer d’une chose à l’autre, avec ses grands « sursauts d’esprit », des sauts, des écarts, quand il passe de l’introspection à la description, quand il parle de ses rencontres au gré de promenades, passant d’une échelle à une autre, du plus grand à l’infiniment petit. Oui… faire rire comme je ris parfois en lisant Walser !
Du 28 janvier au 19 mars, FRAC Basse-Normandie, 9, rue Vaubenard, 14000 Caen, tél. 02 31 93 09 00, tlj 14h-18h.
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Carlos Kusnir
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°229 du 20 janvier 2006, avec le titre suivant : Carlos Kusnir