PARIS
La Force de l’art est morte, vive la Triennale ! Dans un Palais de Tokyo entièrement rénové s’installe la première édition de la Triennale, nouvelle manifestation qui s’attachera à montrer les correspondances tissées entre la France, l’étranger et la banlieue parisienne.
Alors que la course à l’Élysée réveille chez certains candidats la thématique d’identité nationale, avec les inévitables clivages qu’elle induit, la Triennale élargit la notion même de scène française. Elle était au cœur du cahier des charges des deux précédentes éditions de la manifestation – auparavant intitulée « La Force de l’art » –, désormais, elle est l’objet de toutes les déconstructions. En privilégiant une « Intense proximité », sa tête pensante – le très international Okwui Enwezor – et son aréopage de quatre commissaires locaux se sont emparés en effet du thème identitaire dans une perspective anthropologiste.
Sous l’égide des travaux de Claude Lévi-Strauss, Marcel Mauss, Michel Leiris et Marcel Griaule, la colonne vertébrale du projet, le Palais de Tokyo et ses satellites – Béton Salon dans le 13e arrondissement, le Crédac à Ivry-sur-Seine, Instants chavirés à Montreuil, les Laboratoires d’Aubervilliers, les jardins du Musée Galliera et le Louvre – se passionnent autant pour l’inconnu et le lointain que pour le voisinage familier. Il est alors logique que la Triennale revendique une quarantaine de pays d’origine pour la bonne centaine d’artistes retenus.
On se réjouit donc d’y retrouver les prometteurs vidéastes Neil Beloufa, Bertille Bak ou Bouchra Khalili, l’artiste guyanais Mathieu Kleyebe Abonnenc, Lili Reynaud-Dewar tout juste sortie d’une impressionnante monographie au Magasin de Grenoble [lire p. 94]. Tous ces jeunes artistes développent depuis quelques années des réflexions complexes et critiques sur les notions d’origine, de métissage, de colonisation, de migration. La singularité de leur démarche devra tenir le cap face à la réputation de Chris Ofili, de Rirkrit Tiravanija, d’Alfredro Jaar, d’Adrian Piper, d’Öyvind Fahlström ou encore d’Annette Messager. Et rien n’a filtré sur les productions et les œuvres convoquées pour fabriquer cette ambassade de la mondialisation.
Une programmation plurielle
On reconnaît là la touche d’Okwui Enwezor, commissaire de la Documenta 11, des biennales de Gwangju et Johannesburg, né au Nigeria, arrivé aux États-Unis avant ses 20 ans. Aujourd’hui, il dirige la Haus der Kunst de Munich après être passé par San Francisco. Un homme du monde. Littéralement. Avec lui, Mélanie Bouteloup, cofondatrice de Béton Salon sur le campus de l’université Paris-Diderot. Avec son équipe du centre d’art et de recherche, elle a conçu l’exposition collective « Tropicomania » à partir des archives et de l’histoire du jardin d’essai colonial du bois de Vincennes fondé en 1899.
Sur la dizaine d’artistes invités, on sait Mark Dion, Dan Peterman, Lois Weinberger ou Maria Thereza Alves capables d’offrir une lecture originale et stimulante des qualificatifs « invasif », « ubiquiste » ou « opportuniste » souvent accolés à certaines plantes exotiques. Le sociologue de la nature Raphaël Larrère s’était interrogé il y a trois ans sur l’existence d’une bonne ou d’une mauvaise biodiversité ; c’est une perspective écologique aux débats identitaires plutôt séduisante et inédite.
Émilie Renard, responsable des expositions à l’École des beaux-arts de Lyon (après avoir cofondé Public et la revue Trouble, été commissaire du prix Ricard en 2010), Abdellah Karroum, chercheur et commissaire entre Paris, Rabat et Monaco (où il vient de prendre la direction artistique du prix Prince Pierre) et Claire Staebler (ancienne du Palais de Tokyo et passée par la Fondation Pinchuk avant de revenir en France pour assurer différents commissariats) renforcent la programmation. Et chacun assure depuis janvier la direction éditoriale d’un magazine mensuel téléchargeable.
La France, reine du melting-pot
La Triennale s’interroge, cherche et s’installe d’ores et déjà sur l’échiquier international des grandes manifestations après s’être fourvoyée deux fois dans les méandres de la grande exposition française. En délaissant le nom de Force de l’art, la Triennale fait ainsi le pari d’affirmer une France en reine du melting-pot. Elle prend aussi un sacré risque en se délocalisant jusqu’en proche banlieue. Au Crédac d’accueillir une expédition fantastique de Boris Achour, aux Laboratoires d’Aubervilliers d’explorer les conditions du genre queer avec le duo composé par Renate Lorenz et Pauline Boudry, aux Instants chavirés de programmer des concerts et performances. Après la visite d’une exposition de cent quatorze artistes rien qu’au Palais de Tokyo, aura-t-on le courage de poursuivre le voyage ?
Ce sera assurément plus simple d’aller chercher la pièce monumentale d’El Anatsui dans les jardins du Musée Galliera, voisin du Palais, ou de s’offrir une visite thématique au Louvre « À la recherche de l’esclavage ». L’appétit de l’équipe de la Triennale est énorme et témoigne d’une ambition qu’on n’avait pas vue depuis un moment au Palais de Tokyo. La moitié du contrat est déjà remplie.
La Triennale, « Intense proximité », du 20 avril au 26 août 2012, Palais de Tokyo, Béton Salon, le Crédac, Galliera-Musée de la mode de la Ville de Paris, Instants chavirés, les Laboratoires d’Aubervilliers, Musée du Louvre. www.latriennale.org
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Avec la Triennale, le monde a rendez-vous à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°645 du 1 avril 2012, avec le titre suivant : Avec la Triennale, le monde a rendez-vous à Paris