MONTREAL / CANADA
Le festival d’art contemporain qui prend place dans les passages souterrains de Montréal est devenu un jeu d’équilibriste malcommode pour les œuvres.
Montréal. « Art souterrain », un projet de Frédéric Loury lancé en 2009 avec peu de moyens, se déploie à nouveau au sein d’une particularité architecturale de la métropole québécoise : trente kilomètres de passages souterrains. En effet, bon nombre d’édifices administratifs et de grandes entreprises du centre-ville sont reliés par des accès couverts et des galeries marchandes afin d’échapper aux trottoirs glacés et températures glaciales de l’hiver comme à l’atmosphère tropicale de l’été. Montréal, déjà réputée pour son programme d’art public, offre donc des espaces publics atypiques à profusion pour y insérer temporairement des œuvres. Art souterrain est né de cette possibilité et a pris de l’ampleur, édition après édition, invitant des têtes d’affiche (Martin Parr, Artur Zmijewski), les fleurons québécois et canadiens, jusqu’à réunir 140 artistes en 2012 !
Mais la onzième édition est bien plus modeste malgré son budget affiché de un million de dollars canadiens (7,2 millions d’euros). Avec seulement 57 artistes pour trois commissaires chaperonnés par le commissariat général, lequel sélectionne également des projets, le festival donne le sentiment d’un étiolement. Là où, en 2012, le parcours s’étendait sur sept kilomètres et plus d’une douzaine de bâtiments partenaires, la présente édition s’éparpille sur six sites, dont un complètement détaché, le 1000 de la Gauchetière, où les œuvres se sentent un peu abandonnées.
C’est que l’exercice est loin d’être simple, comme le confirme Martin Le Chevallier, artiste qui a participé à l’événement en 2018 et se retrouve cette année commissaire. Il expose une nouvelle fois des œuvres et a sélectionné quatorze autres artistes. Mais plutôt que de se voir attribuer un lieu ou d’autonomiser son parcours, sa sélection a été saupoudrée, mélangée avec celle de ses camarades de jeu, en l’absence de vraie collaboration entre les commissaires. Tablant sans doute sur l’effet de cohérence que donne normalement une thématique, en l’occurrence celle du « Vrai et du Faux », les œuvres ont été disséminées mais se sont perdues en chemin, dans des espaces pas toujours accueillants.
Martin Le Chevallier s’en tire très bien au Complexe Guy-Favreau, atrium de béton brutaliste monumental, siège des Services de passeport Canada. Il y a placé une de ses œuvres, Help, mot seulement visible depuis une coursive et réalisé avec des cordons de sécurité, accessoire de prédilection des administrations alentour pour canaliser des files d’attente sans fin. Non loin de l’observatoire, une porte anonyme est frappée du mot « réalité », petite infiltration ironique parfaitement dans le thème. Si le plus souvent Le Chevallier a usé de discrétion dans ses choix en les infiltrant avec habileté dans les lieux, jouant du mobilier en place ou des usages, il a aussi su activer la monumentalité à bon escient. Ainsi l’autoportrait de Raphaël Fabre trône-t-il en grand sur l’un des piliers du complexe, étrange présence dont on ignore de prime abord si la bannière rend hommage à un otage, à un disparu ou à une célébrité. Rien de tout cela, puisqu’il s’agit d’un portrait de l’artiste confectionné à l’aide d’un logiciel. Il a passé la barrière des contrôles administratifs, se retrouvant admissible en tant que photo d’identité sur la carte d’identité nationale de Fabre. D’où le titre de l’œuvre, laconique, CNI. Le choix est bien vu et parfaitement placé. Tout comme la vidéo de Fayçal Baghriche, Philippe (2008). L’artiste y détourne l’exercice de l’homme-statue pratiqué devant le Louvre où se multiplient les Toutânkhamon de pacotille, rejoués par des performeurs capables de maintenir une position statique pendant un long moment.
Le passage qui mène au Palais des congrès est aussi très bien investi par deux choix de Maude Arsenault, elle aussi artiste et commissaire. Elle a choisi les images cocasses du Canadien Brendan George-Ko dont on ne distingue jamais tout à fait le vrai du faux et celles de l’Américain Eric Pickersgill. Traitées en noir et blanc, chacune des situations jouées dans ces photographies révèle un objet manquant : le téléphone portable. Les personnes qui ont posé pour lui avaient attiré son attention parce qu’elles étaient justement toutes rivées à leur écran. Elles rejouent alors la scène, mais sans le fameux objet. Ainsi, ce qui aurait pu être une simple action d’effacement par logiciel interposé, est bien advenu dans la réalité
Toutes les propositions ne sont pas toujours en adéquation avec le thème ni avec l’espace. L’exercice consistant à faire exister l’événement dans des lieux qui ne sont pas toujours impliqués dans le processus mais simplement partenaires, est même sévère pour certaines œuvres, transformées en simples anecdotes visuelles.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : Art souterrain, un festival qui s’essouffle