Annette Messager

« Ces gens sont mon portrait »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 29 septembre 2009 - 792 mots

Annette Messager prend ses quartiers à la galerie Marian Goodman, à Paris, avec deux nouvelles installations. Au rez-de-chaussée, À corps perdu (2009), assemblage de photos anciennes mues par un étrange souffle, semble reconstituer un organisme paradoxal. Tandis qu’au sous-sol, Et range ta chambre (2007-2009) fait glisser le visiteur vers un espace mental, avec des murs couverts de badges contenant des dessins, et des objets aux échelles bouleversées.

Cette exposition en deux temps semble évoquer une dichotomie entre le corps d’une part, son environnement matériel et mental de l’autre. Fut-elle pensée de la sorte ?
J’ai conçu ces deux œuvres très différemment. À corps perdu a été faite très vite, tandis que pour l’autre, peut-être pour la première fois de ma vie, je n’avais pas de sujet ; ce qui est beaucoup plus angoissant que lorsque l’on a un thème car alors il faut le réaliser le moins mal possible. J’y ai travaillé pendant deux ans, et j’ai surtout eu la joie de découvrir une machine à fabriquer des badges, qui est peut-être l’élément le plus joyeux de l’exposition. Ceux-ci sont comme des petits miroirs, c’était très ludique de les faire. Les deux pièces sont donc assez différentes, tant dans la réalisation que dans la conception.

Pourquoi alors les avoir exposées ensemble ?
Pour moi cela allait de soi, car au sous-sol, c’est une autre atmosphère. Je préfère cet espace souterrain, plus neutre, moins chic. Je ne sais même pas dire sur quoi j’ai travaillé avec cette œuvre. Quand j’ai réalisé cette série de badges, j’en avais un millier au sol ; tout était désordonné et j’ai voulu les ordonner. Depuis quelques années je ne fais que ranger, c’est nécessaire pour les rétrospectives. Et je suis très désordonnée… Par exemple, quand, au début des années 1970, j’ai fait « Annette Messager collectionneuse », « Annette Messager artiste », etc., j’ai essayé de classifier mon désordre. J’adore les chemises, les sous-chemises, les fournitures de bureau. Cela m’apaise de savoir que c’est rangé.

D’où vient cet intérêt pour les badges ?
Il y a là un peu tout ce que j’aime : des photos, des morceaux de corps, des petits dessins pornos, toujours ma signature « A. Messager », des dessins un peu tantriques, ou le papier brillant du petit chocolat que l’on vous donne au café… Et ce sont des choses qui se mettent sur le corps, les vêtements, les sacs à main, que l’on transporte avec soi ; un truc pauvre, d’art populaire. Faire des dessins originaux est en contradiction avec ce qu’est cet objet… et j’aime bien être en contradiction !

Cet assemblage d’images et d’objets parfois incomplets participe d’une complexité à explorer, car au-delà des références à l’enfance et à la mémoire, on avance sur un terrain psychanalytique…
Je n’y ai pas vraiment pensé, mais ce qui est formidable quand on est artiste, c’est que l’on n’a pas besoin, moi en tout cas, de psychanalyse. Faire tout cela est un défoulement. J’ai pu tout faire passer dans mon travail, tout ce qui ne va pas dans le quotidien. J’ai pu tuer tout le monde sans aller en prison, au contraire. Je regarde beaucoup les gens dans la rue, comment ils parlent, comment ils sont habillés, quels sont leurs gestes, cela m’apporte plus que d’aller dans un musée. Et je crois que plus je vieillis, plus c’est la régression totale ; je deviens de plus en plus enfantine. On se libère de beaucoup de choses en vieillissant.

Pour À corps perdu, vous avez réutilisé des photos anciennes de visages ou de morceaux de corps qui ont été tirées sur de la toile de spi…
Je n’avais pas travaillé avec la photographie depuis 1998 peut-être, et ne pensais absolument plus le faire. C’est en préparant ma rétrospective à la Hayward Gallery, à Londres, qu’à la demande du directeur j’ai relu mon travail photographique et cela m’a intéressé de nouveau. Je ne voulais pas faire de clichés mais retravailler des anciens. Et tout un passé a ressurgi comme ça ; tout un passé présent. Je me suis dit que tous ces gens étaient mon portrait, ils sont vraiment en moi et font partie de ma vie. Beaucoup ont disparu, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, d’autres sont morts. J’ai voulu les unifier afin de les rassembler et je les ai donc recouverts d’un voile de tulle noir, ce qui évidemment assombrit beaucoup [le motif] mais en même temps permet de les lier. Et, en opposition à cet aspect de deuil, il y a un souffle, une respiration qui leur donne de la vie.

ANNETTE MESSAGER. À CORPS PERDU, ET RANGE TA CHAMBRE, jusqu’au 10 octobre, Galerie Marian Goodman, 79, rue du Temple, 75003 Paris, tél. 01 48 04 70 52, www.mariangoodman.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°310 du 2 octobre 2009, avec le titre suivant : Annette Messager

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