Qu’il s’agisse de l’extinction d’un téléviseur, des accidents de la bande magnétique ou des plans morcelés du désert de l’Arizona, Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet réalisent des œuvres picturales qui prennent en compte les marges de l’image... ou au contraire photographient les ciels azurés de leurs lieux de villégiature. À l’occasion des « Entretiens sur l’Art », programmés le 11 mars à l’Espace Paul-Ricard, à Paris, les artistes répondent à nos questions.
Vous êtes un duo d’artistes. Comment fonctionnez-vous pour mettre en œuvre vos projets ? Qui fait quoi ?
Plus qu’un duo d’artistes, nous sommes un couple d’artistes, ce qui signifie pour nous un projet de vie, du temps partagé. À partir de 1997, l’idée de travailler ensemble s’est imposée à nous, ce qui était à la fois de l’ordre d’un désir fort et d’une prise de risque, chacun étant déjà engagé professionnellement dans l’art, comme artiste et comme historien.
Si les artistes ne prennent pas de risque, qui en prendra ? Toutes les décisions sont prises en commun, elles sont issues d’un dialogue permanent. Il ne s’agit pas d’un face-à-face mais d’un regard orienté, comme celui d’une vision binoculaire. Un regard augmenté, tant dans la puissance de travail, que dans la réflexion. Concernant la réalisation des œuvres, nous sommes le plus souvent quatre, avec Stéphanie Fabre et Éric Gillet, un couple d’architectes. Ce qui suppose une organisation du travail et un partage des tâches où chacun est interchangeable.
« Tapes », « Switch »… certains titres de vos séries picturales font allusion au monde électrique ou cathodique. Que cherchez-vous à retranscrire dans la traduction de ses effets en peinture ? Est-ce un prétexte à créer de nouvelles formes d’abstractions ?
Nous ne nous intéressons pas aux images électroniques, ni au monde cathodique, ni même aux images de synthèse ou générées par ordinateur. Nous ne produisons pas de formes abstraites, la question de l’abstraction est étrangère à notre travail.
Nous nous intéressons aux bords de l’image, aux marges, à l’image en formation ou en déformation, aux lieux où l’information est rare et souvent peu observée, ou peu considérée : périphéries de villes du désert américain, neiges électroniques, accidents de la bande vidéo, images fugaces – compressées ou compactées, aux limites de l’image et de la lumière. Nos peintures parlent d’images, des environs de l’image. L’informatique ne constitue pour nous qu’un outil, un processus de traitement de l’information.
Ce n’est pas en nous interrogeant sur la forme que nous entendons créer de nouvelles formes, mais en inventant les nouvelles conditions de leur émergence. Naissent alors d’autres figures et d’autres possibles. C’est dans ce questionnement de l’image (au bord de l’épuisement) que se situe notre réflexion.
Vos tableaux rendent visibles les accidents de la bande magnétique, les éraflures, l’extinction de l’image sur l’écran TV… alors que vos photos, comme la série des « Ciels », parlent d’image idéale. Quel est le lien entre ces deux types de travaux ?
À l’inverse des peintures, qui introduisent l’informatique dans le champ pictural, les Ciels cherchent à repousser les limites de la photographie argentique, excluant toute manipulation : ciel bleu sans nuages, absence de pollution dans un milieu urbain, frontalité, précision de la visée, en constituent l’unique protocole. Il s’agit d’une tentative illusoire d’approcher une image idéale, une image de l’ordre de l’idée, révélant son potentiel d’échec.
La notion de voyage – déplacement, géographie, territoire, paysage – transparaît dans chacune de vos œuvres. Quel rapport entretenez-vous à l’espace et au voyage ?
Ce sont des moments privilégiés, de déplacement, d’observation, d’ouverture. Nous avons effectivement traversé les territoires de nos peintures de plans, et vécu chaque fermeture d’écran de nos peintures de télévision, et ce de motel en motel. Les titres de nos œuvres (Manville, Gypsum Wash… Fishing With John, Mega Vixens… Alpine, TX, Santa Fe, NM…) en témoignent. Ce qui nous intéresse c’est ce qui dans le monde extérieur nous parle de peinture.
Animés par Catherine Francblin : « La Peinture par la bande » avec Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet, artistes, Didier Semin, enseignant à l’Énsba, à Paris, jeudi 11 mars à 19 heures, Espace Paul-Ricard, galerie Royale 2, 9 rue Royale, 75008 Paris, tél. 01 53 30 88 00, entrée libre. Posez vos questions aux artistes sur www.espacepaulricard.com. Réponse le 11 mars.
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Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°188 du 5 mars 2004, avec le titre suivant : Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet