Au Musée Zadkine, à Paris, Angela Detanico et Rafael Lain (nés respectivement en 1974 et 1973 à Caxias do Sul, au Brésil) explorent avec l’outil typographique les confins visuels de la langue. Les deux artistes travaillent ensemble depuis 1996 et vivent à Paris.
Deux des œuvres présentées au Musée Zadkine, La Fleur inverse (2007) et Le Nom des étoiles (2007), reposent sur une manipulation de polices de caractères très connues, Times et Helvetica. Est-ce chez vous un principe fondamental ?
Rafael Lain : Je crois que c’est lié à notre pratique. Depuis le début, notre travail artistique pose la question du lien entre visibilité et lecture. Angela a fait des études en sémiologie et linguistique, tandis que je suis initialement graphiste-typographe. Nous travaillons vraiment sur la structure du graphisme. Nous utilisons souvent Helvetica ou Times, des typographies standard. Helvetica est considérée comme la plus neutre, et est donc presque invisible. C’est pour cette raison que nous avons créé le « Helvetica Concentrated ». Nous avons poussé à l’extrême cette idée d’invisibilité en rendant perceptible la lettre par la seule quantité d’encre qui est nécessaire pour l’imprimer ; la plus petite étant le « i », et la plus grosse, le « w ». C’est comme notre « Inverse Times », qui est visible mais illisible.
Votre engagement d’artistes aujourd’hui découle-t-il de votre travail de graphistes ?
R. L. : Les deux sont très liés. Il s’agit pour nous de la même pensée, des mêmes idées. La différence est une question d’emplacement. Par exemple, le catalogue de l’exposition « Inverse Times » constitue à nos yeux comme une œuvre de l’exposition. Si nous sommes invités en tant que graphistes à faire un catalogue, l’objet est un catalogue, mais on pose des questions similaires.
Angela Detanico : Nous nous servons beaucoup de cette stratégie de graphisme, mais la gestion de l’information est aussi pour nous quelque chose de très important. On le voit bien avec les projets utilisant « Helvetica Concentrated » et « Inverse Times », où nous mettons en forme cette base de travail avec d’autres questions qui n’intéressent pas nécessairement la notion de graphisme. Nous tentons de faire d’autres recherches, d’apporter d’autres choses, voire d’autres techniques. Déborder ce champ nous permet d’agir autrement.
Cherchez-vous à questionner les fondements mêmes de la communication et de la compréhension ?
R. L. : Sur certains points, je crois que c’est ça…
A. D. : Si nous réalisons une typographie de caractères telle « Helvetica Concentrated » pour un client, il dira que ça ne va pas, car le but est de communiquer. Tandis que nous, avec cette police, nous engageons une réflexion sur la langue en tant qu’élément visuel. Le Nom des étoiles fonctionne de la sorte, puisque l’image de chaque étoile provient de son nom, soit du texte et de la langue. Dans cette police, les lettres sont figurées par un point. Nous superposons donc des cercles relatifs à chaque composante du nom de l’étoile. Par exemple, Cih brillera peu, car le mot a un nombre de lettres réduit ; sa magnitude dans notre système est donc moins importante. Un nom plus long créera à l’inverse une image plus brillante. Il y a donc là une sorte de correspondance entre l’image et le texte auquel on ne peut pas parvenir dans le champ du graphisme.
La Fleur inverse est-elle une tentative de transcription visuelle et spatiale d’un poème ?
A. D. : Au départ un peu, oui, puisque nous sommes partis d’un texte inédit, intitulé Variations sur la canso Ar resplan la flors enversa de Raimbaut d’Orange, un poème que Jacques Roubaud a écrit pour le musicien François Sarhan. Lequel nous a contactés pour le travailler plastiquement. Le texte est composé de huit parties, chacune étant qualifiée par un mot issu du poème ancien. Pour le premier, « inverse », nous avons voulu travailler sur la structure du texte, dont les douze parties ont naturellement généré douze modules visuels. Pour la suite du projet et la présentation des sept autres mots, nous produirons des pièces différentes et allons sans doute expérimenter des performances, pièces sonores…
Cette œuvre repose sur un principe de double inversion, celle de la police Times (« Inverse Times ») et celle, spéculaire et illisible, présente dans le miroir qui fait face au texte…
R. L. : Nous cherchions une police pour écrire le texte de Roubaud. Le mot « inverse » nous a donné cette idée d’inverser le Times. De plus, nous avons inversé toutes les lettres et les mots, ce qui rend inefficiente cette technique classique de placer un miroir à côté d’un texte inversé pour le lire. Cela crée une sorte de langue bizarre.
Tentez-vous ainsi d’introduire des nouveaux modes d’information ?
R. L. : Nous ne souhaitons pas en créer de nouveaux, mais toujours explorer des standards. Ce qui nous intéresse est plutôt une sorte de ralentissement du processus d’information. La lecture est quelque chose d’immédiat, nous la ralentissons.
Jusqu’au 16 septembre, Musée Zadkine, 100 bis, rue d’Assas, 75006 Paris, tél. 01 55 42 77 20, www.zadkine.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h. Catalogue, éd. Paris-Musées, 64 p., 20 euros, ISBN 978-2-7596-0005-2.
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Angela Detanico et Rafael Lain
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°259 du 11 mai 2007, avec le titre suivant : Angela Detanico et Rafael Lain