Françoise Pétrovitch installe ses fillettes et animaux plus illustratifs qu’expressifs au Musée de la chasse.
PARIS - On connaît depuis 2007 et la réouverture du Musée de la chasse et de la nature, à Paris, l’engagement de son conservateur en chef, Claude d’Anthenaise, pour l’art contemporain, qui l’a conduit cet été à diriger l’ambitieux programme « Monuments et animaux » soutenu par le Centre des monuments nationaux (lire le JdA no 351, 8 juillet 2011, p. 17). Au musée, sa programmation d’expositions temporaires exigeante est assortie d’une politique d’acquisition d’œuvres inspirées par le rapport de l’homme à l’animal et à la nature, insérées non sans malice dans le parcours. Ainsi du « Cabinet des singes », polyptyque délirant de Patrick Van Caeckenberg, ou du « Cabinet Sommer », d’après le cabanon de chasse des fondateurs du musée dont la restitution a été confiée à Mark Dion.
Si, en 2008 déjà, l’artiste Johan Creten s’était immiscé dans les collections permanentes, ses sculptures existaient au préalable. Pour l’exposition de Françoise Pétrovitch, plusieurs œuvres ont été spécifiquement produites (1) et « l’intégration [aux salles du musée] est plus poussée », précise Claude d’Anthenaise. En effet, Françoise Pétrovitch est partout, dans la cour et au centre de salons, mais aussi disséminée dans les vitrines, dissimulée dans les tiroirs, trônant sur les cheminées et encore dans les escaliers… Ses pièces rivalisent avec les trophées, y frayent avec les fauves naturalisés, viennent narguer le loup en son cabinet, jouent et surjouent les intruses plus que les « sentinelles » – du nom de sa tête de lapin fétiche, figure familière de grès émaillé postée en maints endroits du parcours.
Bestiaire engourdi
Si le projet est audacieux et ne manque pas de séduire un public vite pris au jeu (de piste), que voit-on exactement dans ces œuvres ? Les motifs iconographiques, qui y sont repris tantôt en dessin, en gravure ou en sculpture, paraissent bien pauvres ou stéréotypés en regard de l’imaginaire auquel l’artiste se ressource : les cœurs et fleurs aux formes arrondies, les poupées démembrées sont un poncif pour évoquer le monde de l’enfance. Les animaux mis en scène sont peu diserts. Brandies et pourtant immobilisées au seuil d’un récit, ces images semblent tirées d’un bestiaire un peu engourdi. Surtout, ces signes donnent lieu à des lectures qui, se chevauchant, suscitent l’embarras : la fillette, liée par une tendresse instinctive à l’animal – lequel ne peut être qu’un lapin ou un faon –, est « tachée » par un sang qui peut être le sien lors de son accès à la féminité ; ce sang peut être aussi celui d’une blessure, un parallèle étant insidieusement suggéré entre la proie des chasseurs et l’innocence de la jeune fille mise à mal… Dans ce sens-là, l’artiste est bien loin d’Alice qui court à son destin sans jamais le subir.
Le recours aux techniques traditionnelles du verre et de la céramique ne conférera pas une légitimité supplémentaire à cet imaginaire dans lequel il est difficile d’entrer, cependant que le décor de ses assiettes de carton gravé, visibles dans le vaisselier, témoigne avec délicatesse d’un monde plus onirique.
(1) Les Vanités, douze lavis sur papier ; la vidéo Le Loup et le loup ; L’Art d’accommoder le gibier, série d’estampes ; Les Cages, pièce monumentale en verre soufflé ; trois sculptures Sentinelle ; collier et serre-tête
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Alice dans les forêts
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 8 janvier 2012, Musée de la chasse et de la nature, 62, rue des Archives, 75003 Paris, tél. 01 53 01 92 40,
www.chassenature.org, tlj sauf lundi 11h-18h
Nombre d’œuvres : 52 dont une série de 12 estampes et une autre de 6 gravures
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°356 du 4 novembre 2011, avec le titre suivant : Alice dans les forêts