ENTRETIEN

Alain Cueff, commissaire de l’exposition

« Le grand monde d’Andy Warhol » au Grand Palais

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2009 - 554 mots

N’a-t-on pas tout dit sur Warhol ?
On n’a rien dit sur Warhol. Le travail rapporté à la grande échelle de l’Histoire commence maintenant. Nous pouvons commencer à réfléchir sur les grands artistes de la seconde moitié du XXe siècle. Je crois beaucoup à ce travail, et en particulier avec Warhol qui s’est toujours avancé masqué. Son intelligence stratégique est sidérante, une intelligence qui s’illustre à l’échelle de l’anecdote. Comme au travers de cette histoire exemplaire, quand, en 1962, Warhol reçoit les Tremaine, des collectionneurs à qui il montre des tableaux, dont une Marilyn en couleur, puis d’autres, puis la même Marilyn cette fois en noir et blanc, et Mme Tremaine de s’exclamer : « Fantastique ! Ça pourrait être un diptyque ! » Le diptyque était vendu, avec la satisfaction du collectionneur sur le mode du « c’est moi qui l’ai fait ! ». Il y a là de la ruse de marchand de tapis, de l’esprit joueur mais aussi un détachement très singulier vis-à-vis de la notion d’auteur. Tout le monde a eu les idées de Warhol, pouvait-on croire à New York alors, mais c’est bien sûr une illusion, Warhol laissant voir ces signes de surface comme une manière de protéger ce qui lui importe. C’est là que se tient sa véritable stratégie. Que nous pouvons aujourd’hui comprendre autrement, en relisant l’œuvre elle-même.

… et en raccordant son travail à des origines biographiques mais surtout culturelles, qui l’inscrivent dans une histoire qui n’est pas seulement celle du pop.
Oui, Warhol avait une culture visuelle très dense. Il connaissait tout ! La lecture formaliste que l’on a pu appliquer — la grille, la répétition — réduit et rate l’essentiel. L’ancrage de la famille Warhola dans la religion, au travers de l’église uniate, enseigne une dimension essentielle des images de Warhol. L’église de son enfance à Pittsburgh est aujourd’hui toujours pleine du programme iconographique orthodoxe, et de ces icônes produites pour les besoins du rituel. Mais l’iconostase et tout le régime de l’image propre à cette tradition est une marque profonde, qui se retrouve dans les portraits de Warhol. Représentation du vivant, représentation des saints : Warhol est d’emblée de plain-pied avec le domaine du sacré. Et, les témoignages ne le disent pas assez, sa piété était une réalité quotidienne. Jusqu’au Last Supper (La Cène), la sincérité de Warhol est évidente.

Est-ce constat qui fonde le principe de réunir dans cette exposition des portraits ?
Ne serait-ce que numériquement, le portrait est le sujet principal de Warhol, mais je parlerais plutôt de représentation du visage humain. Le portrait n’est en somme qu’un genre artistique, avec une dimension sociale, présente chez Warhol. Mais la représentation du visage est d’une autre ambition, rare au XXe siècle, qui a partie liée avec la question de l’incarnation, laquelle est aussi, bien plus qu’un quelconque narcissisme, l’enjeu de l’autoportrait. Le tableau qui ouvre le parcours (1) est étonnant : Warhol a 20 ans quand il le peint, mais ce n’est pas une pochade de débutant. J’y vois une figure adamique, et un exercice de peinture sidérant. Désinvolture, naïveté et profondeur, c’est ce croisement que je souhaite rendre visible. Ce qui fait de Warhol, à mes yeux, un génie.

(1) Le seigneur m’a donné mon visage, mais je peux mettre mon doigt dans mon nez, ou Nosepicker I, 1948, coll. Paul Warhola.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°299 du 20 mars 2009, avec le titre suivant : Alain Cueff, commissaire de l’exposition

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