MOSCOU / RUSSIE
La 6e Biennale du jeune art qui vient d’ouvrir ses portes semble convenir aux autorités et mécènes. Un peu moins aux artistes.
Pour sa 6e édition, la Biennale moscovite du jeune art a décroché 30 millions de roubles (409 000 euros) en financements publics et l’appui de solide mécènes privés. Voilà qui contraste avec la Biennale d’art contemporain de Moscou, qui n’a pas reçu un kopeck public pour sa 7e édition l’année dernière.
Intitulée « Abracadabra », l’exposition principale a ouvert au public le 8 juin dans une usine désaffectée de moteurs d’avions militaires encore tout récemment classée secrète et invisible sur Google Maps, en dépit de sa proximité avec le centre de Moscou. Cette biennale réunit 58 oeuvres d’artistes de moins de 35 ans venant d’une vingtaine de pays différents. Dont trois français : Andres Baron, Clément Carat et Marc Johnson.
Derrière l’exploit d’avoir reçu de l’argent public, une magicienne très habile: Ekaterina Kibovksaïa, directrice de la biennale moscovite du Jeune art. Issue d’une longue lignée aristocratique russe, elle est aussi la sœur du ministre de la Culture de la ville de Moscou. Des liens familiaux bienvenus dans un contexte de réticence croissante des hauts fonctionnaires russes à débourser de l’argent public pour les manifestations d’art contemporain.
« Les choses fonctionnent ainsi : si le ministère de la Culture de Moscou verse tant, le ministère de la Culture [fédéral] rajoute la même somme », explique Ekaterina Kibovskaïa au Journal des Arts. 15 millions de roubles chacun, donc. Et ce n’est pas tout. La directrice de la biennale du jeune art a décroché une aide financière du géant russe de la pétrochimie Sibur (dont le mécénat culturel se limitait à un théâtre), fait produire plusieurs installations par Novatek (un géant du gaz, co-détenu par Total).
Enfin, « Abracadabra » s’est vu offrir gratuitement l’espace de l’usine « Rassvet » (aube, en russe) jusqu’au 31 juillet par KR Properties, un important promoteur immobilier. « C’était également la première fois qu’Alexandre Kliatchin collabore avec un projet culturel », note Kibovskaïa, précisant avoir « passé beaucoup de temps à négocier pour convaincre » Kliatchin, le milliardaire derrière KR Properties. La directrice de la biennale admet avoir longuement cherché un lieu adéquat, visitant entre autres des abris anti-bombardement, car « nous ne voulions pas utiliser un musée. Nous voulons faire découvrir de nouveaux noms [d’artistes] et de nouveaux lieux ».
Tout ce temps passé à négocier n’a finalement laissé que très peu de temps à la commissaire d’exposition italienne, la toute jeune Lucrezia Calabrò Visconti, pour agencer l’exposition dans un lieu guère adapté. À peine deux semaines pour tout nettoyer et installer les œuvres. Certains artistes n’étaient guère satisfaits par leurs emplacements. Le belge Bram De Jonghe s’est plaint au Journal des arts que son installation (une bougie circulant sur une corde) se marie mal avec les deux projections vidéos occupant la même pièce : « ce n’était pas du tout ce qu’on m’avait promis », se plaint-il.
L’autre point faible de la manifestation est l’absence - fréquente en Russie - de tout thème un tant soit peu critique. Nulle trace de politique, de religion, de sexualité. Ni satire, ni dénonciation.
Le jour du vernissage de la biennale, une artiste de Saint-Pétersbourg était condamnée par un tribunal russe à payer 2200 euros d’amende et à détruire son œuvre intitulée « Les 9 étapes du pourrissement du guide » et représentant une photo de Vladimir Poutine progressivement dévorée par une herbe folle.
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Abracadabra : la biennale russe d’art contemporain qui a les faveurs du pouvoir
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