Le précédent numéro du Journal des Arts a consacré plusieurs pages au succès public des répliques de grottes préhistoriques.
Ce succès pose plusieurs questions intéressantes, jusqu’au vertige. Mais s’il les pose, c’est qu’il les résout. Et c’est là que – fort heureusement – les choses se compliquent.
Aux débuts de la République, l’historien de l’art et militant républicain Charles Blanc [1813-1882] réussit enfin à réaliser un vieux rêve démocratique : ouvrir un grand Musée des copies, sis sur les Champs-Élysées. L’expérience subit, comme il se doit, les sarcasmes des bons esprits de droite et des beaux esprits de gauche et ne dura que neuf mois. On sait où gît le problème : la religion culturelle ne se fonde pas simplement sur le culte des reliques et la vie des saints, entre trésor de Toutânkhamon et martyre de Van Gogh. Elle pose en son centre une qualité d’expérience qui a reçu un nom : l’authenticité. Le mot grec dont le concept est issu entretient significativement un rapport étroit avec toute forme d’autorité et, comme le dit Humpty Dumpty dans De l’autre côté du miroir: « La question est de savoir qui sera le maître… un point, c’est tout. »
Les historiens de l’art connaissent, sous le nom un peu pesant d’« attributionnisme », cette science auxiliaire qui, en réussissant à documenter tel tableau, tel dessin ou telle sculpture, les élève vers le paradis ou les enfonce en enfer, comme un quelconque Christ de tympan médiéval. Combien d’œuvres ont vu leur cote – donc leur réputation – définitivement embellie ou dégradée par une expertise qui les faisait passer du statut de pièce authentique à celui de vulgaire copie ou vice versa ?
Il y a derrière tout cela comme l’écho, en effet, d’un postulat métaphysique, de variété monothéiste, résumable en trois formules : la vérité existe et elle est unique ; œuvres et auteurs sont hiérarchisés quant à leur qualité ; enfin cette qualité elle-même réside dans l’étroitesse du rapport entre l’œuvre et son auteur. Ainsi la copie est-elle inauthentique non parce qu’elle témoignerait mal de l’œuvre authentique, mais parce qu’elle est le résultat d’une démarche elle-même inauthentique. D’où il découle que ce que les experts et, à leur suite, le public recherchent dans le rapport authentique, c’est une opération participant de la magie : dans la matérialité de l’œuvre résiderait, par-delà le temps, quelque chose du corps et, au fond, du souffle originels.
Mais il s’agit d’une magie personnalisée : la religion en question est celle de l’individu. C’est en quoi elle est moderne. La grotte Cosquer n’est pas signée mais des individus d’il y a trente mille ans l’ont bel et bien décorée. C’est la vibration qui vient de là-bas que prétend capter l’authenticité. Les élites du XIXe siècle croyaient aux tables tournantes pour redonner vie aux défunts. La religion culturelle a les siennes, dans les musées et les monuments. Le marché, autre attribut de la modernité, a fait le reste, en traduisant l’authentique en espèces sonnantes et trébuchantes proportionnelles.
Toute une tendance contemporaine remet en cause cette économie magique. La « reproductibilité technique », qui est restée de règle dans la sculpture, sort quantité d’œuvres sérielles – gravées, photographiques, cinématographiques – du champ de l’authentique. La vogue du patrimoine relativise paradoxalement quantité de pratiques de « restauration » qui s’apparentent souvent à de la reconstitution. Le travail artistique en collaboration, rattaché jusque-là à l’ancien régime artistique, revient en force chez certains artistes en vue, chahutant les frontières modernes de la « création » individuelle. Cas extrême : depuis Lascaux II, la réplique pariétale accoutume le public à l’idée que, dès lors que les circonstances rendent la copie obligatoire, l’émotion peut être au rendez-vous. Un argument totalement inédit se fait jour : on n’admire plus un original parce qu’il est original mais une copie parce qu’elle est une copie. La religion est à ce prix.
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Copie-culte
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Copie-culte