« Depuis quelques années, alors même que le terme était tombé en désuétude, la philanthropie connaît une nouvelle jeunesse. Il n’y a jamais eu autant d’inégalités dans la répartition des richesses, ni autant de médiatisation des défis écologiques et sociaux. Tous les éléments sont donc réunis pour que les individus les plus riches prennent conscience de leur pouvoir – pour ne pas dire de leur devoir – d’agir pour le bien commun. »
C’est ainsi que Virginie Seghers, maître de conférences à Sciences Po Paris et consultante auprès d’entreprises et d’ONG, analyse, dans un ouvrage qui vient de paraître, le développement de ce qu’elle appelle une « nouvelle philanthropie » (1). L’auteur établit ici une nuance entre la philanthropie, qui concernerait plutôt le don des particuliers, et le mécénat, qui désignerait plutôt l’action des entreprises en faveur de l’intérêt général. Une ambiguïté du vocable confirmée par les textes législatifs français relatifs au régime fiscal du mécénat, qui ont d’abord favorisé les entreprises. Virginie Seghers dresse un constat simple : il existe aujourd’hui un vivier de gens fortunés prêts à s’investir dans des causes d’intérêt général. Souvent très riches, ils sont aussi de plus en plus jeunes et consacrent en moyenne de 7 à 10 % de leur patrimoine à ces libéralités. Une étude récente, portant spécifiquement sur soixante-trois grandes fortunes du vieux continent, affine ce profil des philanthropes européens (2) : ces derniers seraient moins poussés vers la performance que les mécènes américains, ils privilégieraient l’engagement personnel et souvent intime – le don religieux demeurant encore très important. Le tout dans une grande discrétion malgré l’importance des sommes en jeu. En 2006, selon la direction générale des Impôts, 1,5 milliard d’euros de dons aurait ainsi été déclaré à l’administration fiscale.
Maelström réglementaire et juridique
Autant dire que dans le contexte actuel, ces nouveaux philanthropes font l’objet de l’attention de nombreux professionnels. Ainsi des fundraisers (lire le JdA n° 304, 29 mai 2009), spécialistes de la collecte de fonds, pour qui ils constituent des « grands donateurs » potentiels. Mais aussi de spécialistes exerçant un nouveau métier : celui de conseiller indépendant chargé de transformer le désir d’investissement social d’un milliardaire en actions concrètes. Malgré les ressources proposées par la Fondation de France ou le Centre français des fondations, il demeure en effet très difficile de s’aiguiller seul dans le maelström réglementaire et juridique du mécénat. Et les conseils traditionnels des grandes fortunes, avocats fiscalistes ou conseillers en gestion patrimoniale, demeurent plus compétents sur les montages fiscaux et juridiques que pour faire émerger des projets d’intérêt général. C’est donc pour satisfaire cette demande très précise que quelques rares sociétés de conseil indépendantes – qui travaillent toutefois de concert avec banquiers et juristes – commencent à émerger.
Très répandus dans les pays anglo-saxons, notamment au Canada, ces cabinets spécialisés se comptent encore sur les doigts de la main dans l’Hexagone. Fondateur de l’Initiative philanthropique, Jérôme Kohler est l’un de ces rares professionnels à dispenser ses conseils auprès de grandes fortunes. Passé par la Fondation de France et par le milieu de l’entreprise, il peut se targuer d’avoir créé et dirigé aux États-Unis la structure des American Friends of the Louvre, chargée de drainer des fonds américains vers le musée parisien. Il connaît donc bien le secteur culturel, qui ne représente pourtant que 20 % des actions philanthropiques. S’il conseille aussi des entreprises ou des organismes à but non lucratif (musées publics ou privés) pour affiner leur stratégie de mécénat, une partie importante de son activité consiste à accompagner les donateurs dans leurs projets. « Notre démarche est simple : poser des questions et avancer en fonction des réponses », explique Jérôme Kohler, qui n’hésite pas à se comparer à un psy. Domaine choisi (éducation, santé, culture, solidarité…), mode d’intervention (subvention, prix, bourse, dons, dation…) mais aussi moyens financiers mobilisés, implications ou non de la famille, lieu… tels sont les éléments clés pour définir une proposition d’action sur-mesure, qui sera ensuite ciblée et planifiée dans la durée. Cela pour des niveaux d’intervention assez divers, en fonction des désirs du philanthrope. « Cela va du simple don à un ou plusieurs organismes de bienfaisance à une action relevant de différents domaines d’intérêt, détaille Jérôme Kohler. Parfois, le projet peut aussi aboutir à la création d’une fondation qui mobilise alors 98 % des moyens philanthropiques. » Un domaine dans lequel les marges de progression demeurent très importantes. Si les fondations ont connu une croissance significative en nombre, en faisant un bon de 32 % entre 2000 et 2007, cet élan a d’abord concerné les fondations d’entreprises ( 164 %) (3). Qui sont beaucoup plus simples à créer.
(1) Virginie Seghers, La Nouvelle philanthropie ; Réinvente-t-elle un capitalisme solidaire ?, éd. Autrement, 2009, 269 p., 22 euros, ISBN 978-2-7467-1297-3
(2) Marc Abélès et Jérôme Kohler, Grandes fortunes et philanthropie en Europe continentale, mai 2009, étude BNP Paribas Wealth Management
(3) Source : Fondation de France
Le 18 novembre se tiendront les « Premières assises de la fiducie philanthropique », rendez-vous des experts de la philanthropie au centre de conférences de l’Institut Pasteur, 28, rue du Docteur-Roux, 75724 Paris Cedex 15, inscription payante sur réservation, renseignements : fiduciephilanthropique.fr
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Abonnez-vous dès 1 €Virginie Seghers, La Nouvelle philanthropie ; Réinvente-t-elle un capitalisme solidaire ?, éd. Autrement, 2009 - © Amazon.fr
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°313 du 13 novembre 2009, avec le titre suivant : Conseiller en philanthropie