Sous le titre énigmatique du « Fauvisme ou l’épreuve du feu, éruption de la modernité en Europe », Suzanne Pagé monte encore une fois en son Musée d’Art moderne de la Ville de Paris une rétrospective d’envergure. Avec plus de 200 tableaux, elle raconte la naissance du fauvisme en 1905 et, ne se limitant plus au seul contexte français, démontre son expansion européenne, de Munch à Kandinsky.
Il est difficile de dire aujourd’hui ce que désigne précisément le mot de fauvisme, au-delà d’une sorte de noyau dur d’artistes (Matisse, Derain, Vlaminck) et de dates (l’été 1905 à Collioure et le Salon d’Automne de la même année à Paris). La question reste ouverte des limites chronologiques du mouvement, de la liste exacte de ses participants, voire de son champ d’application géographique. Sans doute le terme est-il aussi flou parce qu’il fut inventé par un critique pour rassembler des artistes qui n’en avaient pas forcément la volonté. En effet, Louis Vauxcelles, à propos d’un buste d’enfant exposé dans la salle VII du Salon d’Automne, au milieu de toiles de Camoin, Derain, Manguin, Marquet, Matisse et Vlaminck (« des oseurs, des outranciers »), déclara qu’on pouvait le comparer à un « Donatello chez les fauves ». Par ce mot d’origine anecdotique, ce n’est donc pas un mouvement structuré qui est désigné mais plutôt une tendance généralisée de l’art européen de la première décennie du siècle, que d’autres traditions, allemande en particulier, ont préféré baptiser expressionnisme. Deux idées capitales sont cependant ainsi implicitement posées, deux idées qui sont aussi des enjeux de débats pour les historiens de l’art. La première c’est l’origine française de cette tendance, comprise comme se diffusant a posteriori dans le reste du monde de l’art occidental, et trouvant, en Allemagne et en Russie, mais aussi dans les pays nordiques et aux États-Unis, des prolongements (qui en auraient subi l’influence) ou des résonances (qui se seraient développées de manière simultanée). La deuxième, c’est sa radicalité apparente, du moins aux yeux des contemporains, qui n’hésitaient pas à décrire les tableaux de la salle VII comme les « jeux barbares et naïfs d’un enfant qui s’exerce avec la boîte à couleurs dont on lui fit don pour ses étrennes ». Si nos yeux se sont habitués à la débauche de couleurs qui caractérise les œuvres de Matisse, Derain ou Vlaminck entre 1904 et 1906, jusqu’à y voir aujourd’hui plutôt la joliesse que la violence, il ne faudrait pas oublier que c’est avec ces artistes qu’un nouveau rapport au réel survient dans l’art occidental. Il ne s’agit plus pour l’artiste de représenter ce qu’il voit ni ce qu’il imagine à partir d’une norme extérieure qui s’impose à lui par le biais de références littéraires ou académiques. Il s’agit désormais, dans une « pureté retrouvée des moyens » (Matisse), de présenter au spectateur l’expression de sentiments ressentis, soit devant un objet précis, soit en synthèse d’un flux de sensations complexes.
PARIS, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 27 février, cat. Paris-Musées, 496 p., 295 F.
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Au cri lointain des Fauves
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°511 du 1 novembre 1999, avec le titre suivant : Au cri lointain des Fauves