Art déco, bilan positif et clientèle sélective

Par Roxana Azimi · L'ŒIL

Le 1 février 2004 - 840 mots

Dans cette année de crise molle, l’Art déco a réussi tant bien que mal à tirer son épingle du jeu. Après le sacre des maîtres classiques, la vedette revient aujourd’hui au modernisme incarné par Eileen Gray et Robert Mallet-Stevens. En marge des mandarins, quelques signatures méconnues ont hissé leurs cotes à la hausse.

En totalisant 6,9 millions d’euros chez Sotheby’s le 15 mai, la vente de la collection Karl Lagerfeld marquait le premier semestre. Après Memphis et le mobilier XVIIIe, le couturier se délestait de l’Art déco le plus rigoureux. Un bel ensemble, plus imprégné du goût acéré de trois marchands parisiens que du regard personnel du couturier. Dans cette vacation, une paire de tables Diabolo de Jean-Michel Frank, estimée chacun 40 000/60 000 euros, décrochait 335 000 euros. L’enchère de 290 000 euros couronnait une console vers 1920 d’Eileen Gray. Une table circulaire d’inspiration africaniste de Marcel Coard, issue de la demeure de Paul Cocteau, obtenait 110 000 euros, le triple de l’estimation. Les prix les plus spectaculaires gratifiaient le céramiste Jean Besnard avec 165 000 euros pour un Marabout et 155 000 euros pour un vase boule. Des enchères ahurissantes qui ne sauraient servir d’étalon à l’avenir.
Après la version minimale, c’était au tour du modernisme d’être sanctifié, chez Christie’s dans un premier temps le 20 mai. Dans cette dispersion à succès, totalisant 3,4 millions d’euros, une suspension Aéroplane d’Eileen Gray, dont on connaît cinq exemplaires, fusait à 200 000 euros, triplant allégrement son estimation. Cette vente permettait aussi de redécouvrir le verrier Jacques Le Chevalier, avec un paravent tout en transparence adjugé 140 000 euros. Eileen Gray était à nouveau plébiscitée chez Phillips le 11 juin. Un écran en brique provenant de son appartement de la rue
Bonaparte enregistrait alors 155 000 dollars. La cote en crescendo de la créatrice irlandaise témoigne de l’appétit pour l’esprit UAM (Union des artistes modernes). Le 9 décembre chez Camard & Associés, un fauteuil Bibendum provenant du salon de Jeanne Tachard grimpait à 300 900 euros.
La palme de l’engouement moderniste revient à Robert Mallet-Stevens lors de la dispersion de la collection Karsten Greve le 17 juin par Camard & Associés. Les meubles issus de la villa de Paul Cavrois à Croix ont pulvérisé les prévisions avec 330 000 euros pour une coiffeuse, 220 000 euros pour une travailleuse. Les chenets en couverture du catalogue n’étaient pas en reste avec 90 000 euros, le double de leur estimation. Le mobilier en métal du maharadjah d’Indore aiguise toujours les appétits. Chez Sotheby’s le 11 décembre, le lit réalisé par Louis Sognot et Charlotte Alix s’adjugeait à 209 600 dollars, en dessous de son estimation haute. Le minimalisme a tellement le vent en poupe qu’une salle à manger du Lyonnais André Sornay, proposée pour 20 000/30 000 euros chez Chenu-Scrive-Bérard le 5 novembre, obtenait le prix record de 80 700 euros. À l’image de sa production, la cote de Sornay reste toutefois en dents de scie.
Le raffinement classique et poudré de Ruhlmann ne suscite plus les ardeurs d’antan, exception faite des pièces remarquables. Ce fut le cas d’un secrétaire et d’un semainier Francell, pièces uniques réalisées pour la loge de l’actrice Jacqueline Francell, adjugés 305 000 euros à la galeriste Cheska Vallois. On note l’adjudication de 100 000 euros, à la lisière de l’estimation basse, obtenue par une commode Colette en palissandre chez Sotheby’s le 16 mai. Le même modèle, dépourvu de filets d’ivoire, était vendu pour 25 000 euros quatre jours plus tard chez Christie’s. Les pièces de Ruhlmann présentées par Artcurial et Côme Rémy le 2 juillet ont fait florès. Documentées, d’une très bonne provenance, elles étaient en plus dans leur jus. D’où le beau résultat de 160 000 euros pour une commode tambour dotée d’une ornementation en ivoire. Les pièces irréprochables de Jean-Michel Frank continue d’avoir le même succès. En témoigne une paire de fauteuils gainés de galuchat enlevée à 225 000 euros le 24 novembre chez Tajan. Lors du second semestre la faible trésorerie des marchands a donné lieu à des comportements frileux, parfois irrationnels. Une coiffeuse modèle Lassalle de Ruhlmann restait invendue le 24 novembre chez Tajan sur une estimation gonflée de 70 000/90 000 euros. Le même modèle, auréolé cette fois de la provenance d’Hélène Rochas et doté de son siège, s’adjugeait deux jours plus tard chez Christie’s au ras de son estimation basse à 47 000 euros.
Dans un contexte particulier où la clientèle est à la fois avide et sélective, quelques signatures méconnues ou sous-estimées commencent à frémir, à l’image de Dominique. On avait longtemps reproché à cette maison un goût sans éclat de bon père de famille. En juin chez Camard & Associés, une commode gainée de galuchat prétendait à 90 000 euros. Deux paires de fauteuils à dossier à pans coupés atteignaient respectivement 20 000 et 24 000 euros. En 1994, cinq fauteuils du même modèle se contentaient de 18 300 euros. Dans l’Art déco, comme dans d’autres domaines, les collectionneurs apprennent à acheter avec leurs yeux et moins avec leurs oreilles.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Art déco, bilan positif et clientèle sélective

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque