Deux dieux marins des origines du monde avaient donné naissance aux Gorgones, monstres qui régnaient aux confins des enfers et terrorisaient les humains. Leurs cous étaient protégés par des écailles de dragon et des défenses semblables à celles du sanglier. Elles avaient des ailes d’or et, sous leur chevelure de serpents, leur regard était si perçant qu’il pétrifiait tous ceux qui les regardaient. Seule l’une d’elles, Méduse, était mortelle et dans un moment de fanfaronnade propre aux héros, Persée, fils de Zeus et de Danaé, jura de ramener sa tête. Armé du casque d’Hadès qui lui conférait l’invisibilité, chaussé des sandales ailées des nymphes, protégé par Hermès et Athéna, le héros réussit à échapper au regard mortifère et coupa le nœud de serpents. De son sang jaillit Pégase, le cheval ailé qu’il enfourcha, emmenant avec lui cette nouvelle arme imparable : la tête pétrifiante qu’il avait mise dans sa besace.
Ainsi Persée avait réussi à transformer en arme de défense ce visage de terreur qui, depuis, ornait les boucliers des chefs militaires et était placé aux portes des maisons pour détourner les mauvais esprits. Combattre le mal par le mal, pour reprendre la formule homéopathique qui veille au seuil de l’ouvrage de Jean Clair sur La Méduse (Gallimard), telle était l’astuce du héros retournant le maléfice originaire contre les forces obscures, contre le mauvais œil. Depuis la Renaissance, la Méduse a repris la garde sur les boucliers d’apparat et sur les portails des palais. À Florence sous la tribune de la Signoria, à Rome au belvédère du Vatican, les Persée de Cellini et Canova la brandissent pour célébrer la victoire sur l’inhumain. Aux époques d’angoisse, les monstres renaissent et les artistes de la fin du XIXe siècle donnent une nouvelle vie à Méduse qui prend les traits de la femme fatale, à la fois mortifère et castratrice comme chez Franz von Stuck ou chez Fernand Khnopff.
La tête présentée par Alexandre Biaggi a la sérénité des méduses néoclassiques et le vérisme des créatures fin de siècle. Traduite en bronze, la Méduse Rondadini aujourd’hui à la glypthotèque de Munich, acquiert ici une force nouvelle. Le naturalisme des serpents s’allie à l’éclat des yeux d’émail, à l’antique, avec leurs cils de bronze. Divinité de la méditation et du calme, Méduse a gardé de son antique pouvoir celui de réduire à néant nos petites agitations quotidiennes. Le front souverain, la bouche entrouverte sur une imprécation informulée, elle a le regard apaisant, tourné vers l’intérieur qui plaisait tant à Khnopff dans sa version blanc et bleu du masque d’Hypnos. À l’aise aussi partout, la Méduse Biaggi règne sur un XXe siècle précieux de miroirs, de lustres de Venise, de galuchat et d’acier où fait escale parfois une autre Méduse, celle d’Alberto Giacometti, un artiste apprécié dans cette galerie de la rue de Seine.
Galerie Alexandre Biaggi, 14 rue de Seine, Paris VIIe, tél. 01 44 07 34 73.
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Apaisante Méduse
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°555 du 1 février 2004, avec le titre suivant : Apaisante Méduse