Stéphane Allix découvre l’Afghanistan à l’âge de 19 ans. Tour à tour journaliste, photographe, écrivain et réalisateur, il fonde à Kabul
en août 2000 l’antenne afghane de la Société des Explorateurs français. Dans l’Afghanistan des taleban, son objectif est alors de dresser un inventaire de l’état du patrimoine archéologique
du pays... Jusqu’au décret taleban du 26 février 2001 ordonnant la destruction des statues géantes de Bamian.
Comment se situe Bamian au sein du patrimoine archéologique afghan ?
Il s’agissait d’un lieu exceptionnel. Aux débuts de notre ère, la vallée de Bamian était située sur une route d’échange et de commerce très importante. Cela a fait la fortune des royaumes bouddhistes d’alors. Cette prospérité a permis, au-delà de la construction de ces deux Bouddhas géants, l’entretien de nombreux monastères et d’une très importante communauté de moines. La plus ancienne description de la vallée de Bamian nous vient du pèlerin chinois Yuan Chwang qui y est passé au septième siècle. Il traverse une vallée extrêmement peuplée et florissante. La falaise était en grande partie recouverte de constructions en bois. Aujourd’hui, il ne reste que des trous, mais jadis toutes ces grottes étaient habitées et reliées par des passerelles.
Quelle est l’origine du bouddhisme en Afghanistan ?
Le bouddhisme est arrivé en Afghanistan un peu plus de deux siècles avant Jésus-Christ. Dans les trois siècles qui suivent la mort du Bouddha, en Inde, des écoles dissidentes émergent. Certaines se voient obligées d’émigrer et partent vers l’Ouest. Le Cachemire puis l’Afghanistan. C’est une époque où, un siècle après le voyage d’Alexandre le Grand, la Méditerranée pousse sa respiration jusqu’à l’Indus. A l’Est de l’Indus, c’est l’Inde bouddhiste, l’Inde Maurya, l’Inde du grand Ashoka. L’actuel territoire afghan est à la confluence de ces deux empires religieux et culturels. Rencontre de la doctrine et la représentation.
Qu’est ce qui vous fascine en Afghanistan ?
J’ai toujours été émerveillé par le fait que le visage de Bouddha soit né en Afghanistan, sous influence grecque. Il existait un complexe monastique au sud de Jalalabad, le site de Hadda, aujourd’hui complètement détruit. On pouvait y contempler une statuaire que l’on aurait pu croire tout droit sortie des sous-sols de l’Acropole, comme ce Vajrapâni représenté sous les traits d’Héraclès. Hadda a été l’un des premiers sites fouillés par des Français, dont Jules Barthoux dès 1925. Par la richesse et la diversité du site, on peut considérer Hadda comme la « chapelle Sixtine du Gandhara ». Deux petits stupa aujourd’hui exposés au Musée Guimet et démontés par Barthoux dans les années 20 n’avaient jamais été remontés jusqu’à ce que la nouvelle muséographie du Guimet prenne forme.
Et qu’est devenu le reste des trouvailles archéologiques ?
L’étendue du site de Hadda a fait opter les archéologues et les autorités afghanes pour un musée de plein air, un peu comme le site de Taxila au Pakistan, plutôt que de déplacer monuments et statues. Mais le problème est que Hadda se trouve dans une zone où le pillage a toujours été important. En 1926, Barthoux se plaignait déjà des pillages et des saccages commis par les mullah des environs. Et puis il y a eu l’invasion soviétique, la résistance des mujahedin afghans, une guerre atroce. Entre destructions et pillages, aujourd’hui il ne reste rien à Hadda.
La destruction du site de Hadda ainsi que celle d’une grande partie du patrimoine afghan serait donc récentes ?
C’est malheureusement vrai pour Hadda, mais en ce qui concerne le patrimoine archéologique, la question est bien plus complexe. Je me souviens de cette remarque d’un archéologue afghan, avec lequel nous travaillions, au lendemain de la destruction des bouddhas de Bamian. Il déclarait perdre en ces deux géants des joyaux inestimables du patrimoine afghan, mais pour ce qui concernait les pièces volées ou détruites du musée, il avait presque envie de dire que ce n’était finalement pas si grave. « Il reste tellement de choses sous terre en Afghanistan ! Et donc à découvrir... », concluait-t-il.
Ce qui revient à dire qu’une partie du patrimoine est donc pour le moment enfouie et que tout reste
à faire ?
Oui, mais ce qui est dramatique à l’heure actuelle, c’est qu’un nombre important de fouilles sauvages sévissent. Quand il s’agit de sites comme Hadda qui sont relativement connus et qui ont été bien étudiés, on a, au moins, une trace de l’Histoire que le site racontait. Ce n’est pas le cas de fouilles non officielles, des pillages en fait, dont le but est purement mercantile. Il existe encore des sites dont on ne connaît rien des origines, concernant des civilisations vieilles de 4000 ou 5000 ans. Et quand des pillards attaquent des sites à la pioche pour en retirer une seule pièce, ils effacent toutes les traces fragiles, l’environnement archéologique, le « contexte » qui aurait permis d’apprendre quelque chose de ce site.
A partir de quand a-t-on commencé à faire des fouilles archéologiques en Afghanistan ?
La Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA) fut fondée en 1922, par l’archéologue Alfred Foucher. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, seules des missions archéologiques françaises travaillent en Afghanistan. Bactres, Begram, Bamian... Puis d’autres nous rejoignent, Anglais, Italiens, Russes. Je pense notamment au site de Tilla Tepe à l’extrême Nord de l’Afghanistan, dans les plaines de Bactriane. Il s’y trouvait des kourgans, découverts au début des années 70, mais fouillés seulement à partir de 1978. On a découvert sous ces petites collines artificielles au nombre de sept, en fait des mausolées funéraires, les dépouilles de princes Scythes ainsi qu’un trésor d’une valeur inestimable. Parures, bijoux, objets divers... Ce trésor a été transféré à Kaboul puis les fouilles se sont arrêtées en 1979, en raison de l’invasion soviétique. Le 7e kourgan qui n’avait encore été fouillé a été rapidement pillé. D’après mes informations, le trésor de Tilla Tepe se trouvait encore à Kaboul à l’automne 2000, enfermé à la banque centrale.
Y a-t-il un marché, même illicite, pour ce type de pièce ?
Le négoce illicite autour de l’Afghanistan existe depuis très longtemps car il faut bien le souligner, c’est une zone où se trouvent les pièces les plus inestimables d’Asie centrale. Par exemple, le site de Begram, qui a fait l’objet de fouilles, se trouvait au Nord de Kaboul dans ce qui fut la capitale de l’empire Kouchan dans des premiers siècles de notre ère. On y a trouvé des verres peints venant de Rome, des miroirs chinois, des sculptures en ivoire du Sud de l’Inde ou encore des stucs grecs. Une diversité de pièces qui attestent que l’Afghanistan était bien au centre d’une zone d’influence qui s’étendait de Pékin à la Méditerranée en passant par le Sud de l’Inde. L’Afghanistan était alors un carrefour à la fois spirituel, marchand, et culturel sans pareil. Depuis des décennies, les vestiges de ces périodes attirent les convoitises à tel point que le marché de la copie, au Pakistan par exemple, à atteint des degrés de perfectionnement très élevés. Au bazar de Peshawar, on trouvait il y a encore quelques années des choses tout à fait exceptionnelles. Aujourd’hui, c’est une industrie qui fonctionne très bien. Et même du temps des taleban, les archéologues avec qui nous travaillions nous ont dit à quel point ils se sentaient inutiles tant ils étaient impuissants face à la venue de pillards pakistanais. Dans ce domaine, peu importe le pouvoir en place, seul l’argent compte. C’est comme avec la culture et le trafic de drogue. Les taleban avaient interdit le traffic de drogue et celui du patrimoine archéologique. Alors oui, les marchands étaient peut-être moins enclins à étaler facilement leurs pièces, mais il y a quelques mois, en se promenant dans les bazars de Kaboul, il n’était pas très compliqué de voir une petite tête de bouddha, un objet en argent de Bactriane... Après le décret des taleban concernant la destruction des bouddhas, nous avons tenté d’observer ce qui arrivait chez les trafiquants de Peshawar. Il y a un commerce semi professionnel qui ne s’adresse pas directement aux touristes auquel nous avions accès. Au-dessus, existe un réseau destiné à quelques dizaines de personnes dans le monde et par lequel transitent des pièces d’une valeur souvent hors norme.
Quel est votre regard sur le mouvement taleban ?
Le mouvement taleban n’était pas aussi uni et simple à cerner qu’on voudrait le penser. Il y a eu plusieurs strates avec des luttes d’influence importantes entre une tendance « pragmatique » qui autorise notamment l’ouverture de notre bureau à Kaboul ou encore inaugure en septembre 2000 le musée de Kaboul, et une autre plus dure qui fait voter le décret du 26 février 2001 et surtout, qui ne comprend pas qu’on vienne leur donner des leçons de morale. Les décisions taleban paraissaient parfois contradictoires. En détruisant les bouddhas, les taleban ont fait quelque chose qui était profondément non Afghan. Bien sûr l’ensemble de la population est musulmane, les Afghans sont des gens très dévots et qui ont un profond respect pour leur religion, mais les bouddhas de Bamian étaient véritablement en dehors de cela. Cela sortait du domaine religieux. Dans le même registre, des amis afghans me parlaient avec emphase de la grandeur du roi kouchan Kanishka. Sous son règne prospérèrent le Bouddhisme et l’Hindouisme, le Zoroastrisme et pourtant, aux yeux de certains de mes amis afghans, il s’agissait de l’un des grands fondateurs de l’Afghanistan, bien que la nation Afghane ne naisse véritablement qu’en 1747, soit près de 16 siècles après le règne de Kanishka.
Que reste-t-il aujourd’hui du musée de Kaboul ?
Rien ! Selon un accord passé entre la France
et l’Afghanistan en 1922, l’Afghanistan récupérerait la moitié des pièces découvertes par les missions de la DAFA, et dans le cas de pièces uniques ou de forte valeur, elles restaient au musée de Kaboul. Lors de notre dernière visite en juin 2001, nous n’y avons vu que la stèle gréco-bactrien découverte à Surkh Kotal par la DAFA. Il y avait également ce très grand vase en forme de lotus dans l’entrée. Et c’est à peu près tout. La statue de Kanishka a été détruite, il n’en reste que son socle.
Finalement, cette notion de patrimoine afghan dépasse de loin les frontières actuelles du pays ?
Bien sûr, l’Afghanistan a toujours été, soit à la marge d’empires incroyables tels ceux de Darius, d’Alexandre, ou d’Ashoka... Soit il en a été un peu le cœur avec Kanishka, Tamerlan ou Mahmoud de Ghazni... La terre afghane est une terre fabuleuse, au sens éthymologique du terme. Un passage chargé d’histoire, où la mémoire de milliers d’années continue de respirer. Tous les membres de mon équipe ont ressenti cette magie. Mes frères Thomas et Simon, Vadim Schoffel, Natacha Calestrémé, et Sylvain Tesson. Lorsqu’en août 2000, je parlais de Kanishka avec un archéologue afghan devant le musée, j’avais tout bonnement l’impression que le personnage était encore là ; quelque part présent dans l’air, autour de nous.
J’ai récemment été étonné par ces gens qui avaient l’impression que l’Afghanistan était devenu le centre du monde. Pour moi qui y voyageais depuis de nombreuses années, cette sensation ne m’a jamais abandonné. En dehors de toute question politique. Il y a en Afghanistan, un peu de notre âme à tous.
- L’exposition : Son principe a été décidé au printemps 2001, après la destruction des bouddhas de Bamian et elle se veut un hommage au musée de Kaboul, dont les collections ont été sinistrées par 25 ans de guerre. Il s’agit de montrer la beauté et la diversité de l’héritage afghan à travers un ensemble d’œuvres qui couvre toute la période ancienne, des temps préhistoriques à l’époque islamique, des mongols aux Moghols. « Afghanistan, une histoire millénaire », Musée des Arts asiatiques-Guimet, 6, place d’Iéna, 75116 Paris, tél. 01 56 52 53 45 ou www.musee-guimet.fr Du 1er mars au 27 mai. Horaires : tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h, fermeture des caisses à 17h30. - A voir : Une exposition de 50 photographies inédites des œuvres du musée de Kaboul, des monastères de Hadda et du site de Bamian, prises en 1975 et donc véritables témoignages d’archives pour des objets qui ont pour la plupart disparu. « Trésors perdus d’Afghanistan », de Daniel Liénard, médiathèque André Malraux, 26, rue Famelart, 59 Tourcoing, tél ; 03 20 28 07 30.
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Afghanistan Terre de passage...
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°534 du 1 mars 2002, avec le titre suivant : Afghanistan Terre de passage...