Plusieurs grands antiquaires, parmi lesquels Douwes Fine Art (maîtres anciens) et Helmut Rumbler (gravures), ont été victimes ces derniers mois d’escrocs italiens qui leur ont dérobé pour plus de six millions de francs en peintures, gravures et bijoux (lire le JdA n° 87, 27 août). La suite de notre enquête montre que plusieurs autres marchands européens et américains, dont quelques français, ont été approchés et escroqués par cette équipe.
LONDRES (de notre correspondant) - Les escrocs italiens opérant sur le marché international de l’art ont fait au moins neuf victimes supplémentaires, dont plusieurs libraires français comme Rodolphe Chamonal. Un de ses assistants, envoyé à Venise, leur a remis deux ouvrages d’une valeur totale de 350 000 francs en échange d’un chèque qui s’est révélé être sans provision. Stéphane Clavreuil a lui aussi été approché par des escrocs au mois de mars, à Milan, pendant le Salon du livre ancien. Trouvant leurs requêtes suspectes, le libraire a organisé un guet-apens, en liaison avec le marchand Umberto Pregliasco, dans l’hôtel où il était descendu. “Au moment où ils nous ont remis le chèque en échange d’un ouvrage d’une valeur de 850 000 francs, des carabiniers en civil sont intervenus et les ont arrêtés, explique-t-il. Mais ils ont été relâchés après avoir certifié que leur compte allait être approvisionné.” Un marchand allemand qui souhaite garder l’anonymat aurait, lui, été attiré dans le palais vénitien où les escrocs ont opéré. Il a été drogué, puis dépossédé de plusieurs ouvrages pour un montant total de 113 000 deutschemarks (380 000 francs). Un collectionneur italien, qui avait commandé l’Optique de Newton, lui a demandé des renseignements sur cinq autres volumes en le priant de les apporter d’urgence à Venise. Trois jours plus tard, le marchand et sa femme arrivaient sur la lagune, où un bateau-taxi les conduisait jusqu’à un palais, à l’appartement du collectionneur. S’est alors déroulé le scénario vécu par les autres marchands : le “collectionneur”, prétextant que sa mère était mourante à l’hôpital, a brusquement pris congé en demandant au marchand de lui laisser les livres. Le libraire s’y est opposé. Le fils leur a alors proposé un café.
“La préparation a été interminable et quand le breuvage a fini par arriver, il était infect, raconte-t-il. Ni le fils ni sa secrétaire n’y ont touché. Finalement, nous sommes partis en laissant les livres, ce qui n’était pas notre intention et on nous a ramenés en bateau-taxi. Nous nous sentions dans un état d’agréable excitation, mais nous avons ensuite dormi pendant onze heures et nous nous sommes réveillés dans un état horrible. Je crois que nous avons été drogués”. Il a téléphoné le lendemain pour tenter de récupérer les ouvrages ; le fils a répondu qu’ils se trouvaient entre les mains de son père et a raccroché. Le couple est alors rentré en Allemagne, où il a signalé le vol à la police et consulté son médecin.
L’histoire montre que ces escrocs ne “chômaient” pas. Le marchand allemand était leur troisième victime de la journée. L’assistant de Derek Johns, le marchand de tableaux londonien, s’était présenté dans le palais vénitien avec un Guardi d’une valeur de 90 000 dollars, suivi dans l’après-midi par un joaillier européen apportant des diamants d’une valeur de 100 000 dollars. Huit autres marchands, récemment retrouvés, ont été eux aussi victimes de vols d’œuvres d’art ou de livres anciens depuis un an. La mise en scène était toujours la même, probablement montée à chaque fois par le même cerveau : la pièce devait être livrée en urgence à une adresse italienne, le collectionneur devait s’absenter, un “fils”, parfois une “fille” ou un “assistant”, prenait livraison des œuvres en remettant au marchand un chèque qui s’avérait par la suite sans provision. Si l’on ajoute ces cas à ceux que nous avons évoqués dans le JdA n° 87, au total treize vols et huit tentatives ont été opérés au détriment de marchands installés, aussi bien en Grande-Bretagne qu’aux États-Unis, en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, en Suisse et en Italie. Pour les enquêteurs, les différents cas sont liés. La Confédération internationale des négociants en œuvres d’art (Cinoa), qui compte trente associations nationales, a adressé à tous ses membres une mise en garde.
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Venise : les escrocs courent toujours
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°90 du 8 octobre 1999, avec le titre suivant : Venise : les escrocs courent toujours