Le lauréat du lion d’or du meilleur pavillon ne sera annoncé qu’au mois d’octobre pour éviter les pressions marchandes, mais la visite des pavillons permet quelques paris.
La compétition internationale vénitienne suscitant toujours plus de candidatures – soixante-seize pays sans compter les pavillons régionaux comme ceux du Pays de Galles ou de l’Écosse – pour des jardins munis de trente-quatre pavillons « en dur », elle déborde largement dans Venise. Si quatre représentations – l’Afrique et la Turquie pour la première fois, la Chine et l’Italie – ont trouvé refuge dans l’Arsenal, les autres pays prennent d’assaut palais, églises et maisons disséminées dans la Sérénissime. Partir à la recherche de ces lieux inédits, parfois inaccessibles au public en dehors de l’événement – comme le palais Soranzo Van Axel fermé depuis vingt ans et ouvert exceptionnellement pour accueillir le pavillon mexicain –, est la partie la plus grisante de la Biennale (lire l’article de Philippe Piguet p. 21).
L’Allemagne, grand favori
Certains pays ont accordé leur partition à celle de Robert Storr et proposent des œuvres sensibles au monde qui nous entoure. L’Irlandais Willie Doherty livre trois films autour du conflit fratricide d’Irlande du Nord, assurément les meilleures pièces politiques, évitant tout côté didactique pour tirer un fil poétique et tendu. De leur côté, les vidéos de l’Australienne Susan Norrie, déployées à l’étage du palais Giustinian Lolin, témoignent d’une catastrophe écologique à Porong, ville de Java, envahie par des boues volcaniques à la suite d’un forage pétrolier imprécis. Sur plusieurs écrans, la vidéo Havoc explore les différentes réactions des populations, du désespoir à la rébellion punk. Avec ses images impeccables, Susan Norrie fait glisser le documentaire dans un flottement sensible et captivant, une distance dont manque singulièrement la campagne politique aseptisée mise en scène par l’Italien Francesco Vezzoli. Du grand spectacle avec Bernard-Henri Lévy et Sharon Stone en candidats adversaires à la Maison Blanche. Mais l’exercice ne trompe personne et laisse éclater sa superficialité. Le people ne peut pas tout.
Peut-être aussi manquait-il l’humour qui caractérise la proposition de Lars Ramberg au pavillon des pays du Nord dans les jardins. Trois sanisettes Decaux en bleu, blanc et rouge, surmontées d’enseignes « Liberté, Égalité, Fraternité » proposent à l’usager des discours du général de Gaulle, du roi Haakon VII de Norvège et de Roosevelt. Entre l’invention de Decaux et celle de la démocratie, Ramberg analyse avec plus de finesse qu’il n’y paraît les questions de l’hégémonie à la française. On est loin de l’alibi pétrolier qui sert le propos de l’Allemande Isa Genzken, pourtant favorite des sondages à la course au lion d’or. Le pavillon allemand jonché de sculptures baroques et infantiles, de saynètes trash, peine pourtant à trouver un sens à son titre Oil. La conscience aiguë du monde dont témoigne la bonne moitié des participants n’est donc pas toujours des plus fines.
À l’est, rien de nouveau
Nos voisins de l’Est se laissent quant à eux submerger par une nostalgie postcommuniste en travaillant sur les vestiges de leur jeunesse, les désillusions et survivances utopiques. Le pavillon roumain, quoiqu’un peu désordonné, offre une belle réflexion sur la valeur du monument, son caractère péremptoire, sa propension à commémorer les vainqueurs, et revient sur les années de propagande du couple Ceaucescu.
Juste à côté, la Polonaise Monika Sosnowska offre une des plus belles propositions des jardins : une ossature architecturale en métal, totalement tordue, tiraillée et rentrée aux forceps dans le bâtiment des années 1930. 1 : 1 sonde la fin des utopies, questionne la valeur fonctionnelle, déchire le cadre même de son pavillon avec beaucoup de nostalgie.
De celle que l’on retrouve, plus diffuse, dans le travail du duo lituanien Nomeda et Gediminas, installé dans une ancienne école entre l’Arsenal et les jardins. Le pavillon est consacré à la première ambassade de la Lituanie à Rome, passée sous la coupe soviétique après l’annexion de ce pays balte en 1940. Elle n’a jamais été restituée et constitue, là, le dernier territoire de cette république balte encore occupée par les Russes. Le pavillon propose une maquette de la villa, des scopitones, une course de pigeons voyageurs à l’autonome comme autant de pistes de reconquête et de relecture symbolique de cette enclave.
L’échappée belge
Bien sûr, la production artistique n’est pas toute entière tournée vers les désordres du monde et certains artistes continuent de tisser des bulles artistiques salvatrices dans cette ambiance pour le moins pesante. Dans les jardins, peu d’artistes ont enthousiasmé le public, hormis l’excellente Sophie Calle, donnée archi-favorite si la France n’avait pas déjà gagné il y a deux ans. Le palais des Glaces et de la Découverte du Belge Eric Duyckaerts offre une autre belle échappée, un labyrinthe de verre et de miroirs facétieux, jouant avec les codes du minimalisme aussi sûrement que les vidéos de l’artiste balaient les concepts logiques de la science. En bonimenteur labile, l’artiste excelle à développer ses théories fumeuses et jubilatoires. Ce travail exigeant qui demande un visionnage sérieux est un des seuls de cet acabit dans les jardins, si l’on excepte le pavillon américain commémorant l’artiste Felix Gonzalez-Torres, décédé du sida en 1996. Si ses œuvres à la mélancolie sublime résonnent pauvrement dans les salles, les deux disques de marbres, disposés devant le pavillon, sont des chefs-d’œuvre de poésie et d’équilibre.
Plus loin, en ville, dans le quartier de Dorsoduro, le palais Zenobio accueille de nombreuses nationalités et, surtout, le pavillon latino-américain. Le Dominicain Jorge Pineda révèle son univers artistique imparable, sombre et déstabilisant, avec le mannequin d’un petit garçon au coin, les deux bras tendus et rongés par le dessin qu’il vient d’exécuter avec rage. Des scènes d’exploitation des enfants, de rébellion enfantine, de punition et de folie assaillent le visiteur tout en le laissant libre d’interpréter devant la beauté du geste. En se retournant, il découvre une chambre dont le mobilier est entièrement recouvert de coton hydrophile. Une atmosphère ouatée et asphyxiante que le Salvadorien Ronald Moran offre dans un temps suspendu angoissant. On pense immédiatement à la dictature, au musellement, à la privation des droits d’expression, à l’œuvre du Brésilien Cildo Meireles.
Et l’Asie centrale ?
Sorti de cette épreuve quasi physique, on peut se laisser glisser dans la douce installation sentimentale et sonore de Jill Mercedes pour le Luxembourg ou tenter les expériences que propose l’artiste mexicain Rafael Lozano-Hemmer. Entre une chorégraphie de cinquante chaises sur pistons déclenchée à son insu par le spectateur ou la Pulse Room, salle battant au rythme cardiaque d’une centaine de personnes passées avant vous, l’art relationnel de cet artiste déploie ses prouesses techniques pour mieux titiller le comportement de ses visiteurs. Toujours au bord du gadget, il parvient cependant presque toujours à éviter la démonstration.
Au fil de ce quadrillage vénitien, on peut évidemment faire des impasses, sur le pavillon suisse, par exemple, décevant dans les jardins comme à l’église San Stae, mais le pavillon africain est à ne pas manquer. Cette exposition impeccable met en scène avec vivacité les pièces de la collection de Sindika Dokolo à l’Arsenal, un dynamisme que l’on retrouve dans la visite bien plus chaotique du minuscule pavillon d’Asie centrale où sont embusquées des vidéos ensorceleuses. Ainsi, si certains conspuent le principe du pavillon national, il convient d’en souligner les atouts, cette chance qui est donnée de découvrir des scènes artistiques éloignées qui resteraient insoupçonnées sans cette vitrine mondiale. C’est assurément l’une des forces encore bien vives de cette biennale, une de ses bottes secrètes qui constitue la force d’attraction de Venise.
Thaïlande : Amrit Chusuwan, Nipan Oranniwesna. Turquie : Hüseyin Alptekin. Ukraine : Serhiy Bratkov, Dzine, Alexandre Hnlitsky/Lesia Zaiats, Boris Mikhailov, Juergen Teller, Mark Titchner, Sam Taylor-Wood. Uruguay :Ernesto Vila.Venezuela :Antonio Briceño, Vincent Feria. Pavillon d’Asie centrale : Natalya Dyu, Gaukhar Kiyekbayeva, Alexander Ugay, Roman Maskalev, Jamshed Kholikov, Aleksei Rumyantsev, Alexander Nikolaev, Vyacheslav (Yura) Useinov. Institut italo-latino Américain : Narda Alvarado, Mónica Bengoa, Mario Opazo Cinthya Soto, René Francisco, Wilfredo Prieto, Pablo Cardoso, MarÁa Verónica León, Manuela Ribadeneira, Ronald Morán, MarÁadolores Castellanos, Andre Juste, Vladimir Cybil, XenÁa MejÁa, Ernesto Salmerón, Jonathan Harker, William Paats, Paola Parcerisa, Patricia Bueno, Moico Yaker, Omaggio a Jorge Eielson, Jorge Pineda.
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USA, Mexique, Afrique, Pays du Nord... La course au lion d’or !
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques « Penser avec les sens, ressentir avec l’esprit. L’art conjugué au temps présent », 52e exposition internationale d’art, jusqu’au 21 novembre 2007. Commissaire”‰: Robert Storr. Giardini del Castello, Arsenal, Venise. Ouvert de 10 h à 18 h, le Giardini est fermé le lundi, l’Arsenal le mardi. Tarifs”‰: 15 €, 12 € et 8 €, réductions pour les groupes. Tél. 39”‰041”‰521 8711, www.labiennale.org
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°594 du 1 septembre 2007, avec le titre suivant : USA, Mexique, Afrique, Pays du Nord... La course au lion d’or !