L’exposition « Dynasty » offre un podium à une jeune génération d’artistes dans un double accrochage, au Palais de Tokyo et au Musée d’art moderne de la Ville de Paris.
Si, vu de l’extérieur, le bâtiment du Palais de Tokyo, à Paris, se duplique en une belle symétrie, l’intérieur de ses deux ailes offre d’autres similarités l’espace d’une saison, en se faisant le siège d’un projet bicéphale qui lui rend une unité. Initiée par les deux institutions logées en son sein, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris et le Palais de Tokyo, « Dynasty » offre une tribune bienvenue à des artistes qualifiés de « jeunes », car nés entre 1973 et 1986. Celle-ci n’est pas sans rappeler les regrettés « Ateliers de l’ARC » initiés par Suzanne Pagé, qui, à partir de 1977, avaient engagé un travail de prospection avec une régulière périodicité – la dernière mouture, en 1994, ayant révélé des noms tels Jean-Luc Verna, Philippe Perrot, Christophe Berdaguer et Marie Péjus.
La première des qualités de ce projet est justement de ne pas ressembler à ce que l’on qualifie généralement « d’expo de jeunes ». Par quoi l’on entend le plus souvent des travaux en devenir, avec des accrochages pas toujours des plus précis, pour ne pas dire brouillons… une certaine marque de fabrique de la jeunesse en formation ! Certes, les œuvres des quarante artistes vivant en France rassemblées ici sont loin d’être toutes abouties, mais si des faiblesses elles manifestent, c’est à travers leurs qualités propres et non à cause du traitement dont elles auraient fait l’objet. Dans l’une comme dans l’autre institution, les accrochages apparaissent, en effet, impeccables, dégageant des espaces vitaux nécessaires et tissant des liens entre les pièces. Cette rigueur les « professionnalise » sans altérer en rien leur fraîcheur.
Lecture multiple
L’autre caractéristique remarquable du projet tient dans son organisation et son mode opératoire, qui voit chacun des quarante artistes être exposé de part et d’autre. Cette « duplication », outre qu’elle accentue leur visibilité et permet de lutter contre la dilution de chacun dans une exposition fleuve, permet également d’obtenir confirmation de l’intérêt porté à un travail, comme celui d’Antoine Dorotte, où l’usage d’une même technique de l’aquatinte sur des matériaux du bâtiment parvient à aboutir à des formes et images variées. La double présence offre pour d’autres l’avantage d’empêcher une lecture univoque du travail, lorsque sont empruntées des voies formellement contrastées ou divers types de collaboration. Si les trop nombreux films de Gaëlle Boucand figurant l’empathie de jeunes gens visiblement sous l’effet de substances psychotropes lors de fêtes berlinoises finissent par ennuyer, ses sculptures géométriques recouvertes de véritables papillons colorés sont autrement plus intéressantes et engagent une réflexion sur un terrain moins évident. Et, quand Florian Pugnaire et David Raffini montrent un film réalisé en commun au Palais de Tokyo, ils présentent dans l’autre aile des travaux personnels, dont un remarquable volume en métal compressé de Pugnaire, accompagné d’un film qui en dévoile le processus d’élaboration.
Pas d’effet « dream team »
Définie par les directeurs des deux institutions, Fabrice Hergott au Musée d’art moderne de la Ville de Paris et Marc-Olivier Wahler au Palais de Tokyo, grâce à l’aide du défrichage préalable effectué par six membres de leurs équipes respectives, la sélection évite en outre l’effet dream team, qui aurait regroupé tous les noms à la mode du moment, proposant à l’inverse quelques complètes découvertes, comme les amples sculptures de poussière de Yuhsin U. Chang ou les expérimentations sonores, à la limite de la science, de Robin Meier et Ali Momeni. Nulle esthétique ou école ne s’imposent, mais se déroulent des propositions qui parfois s’entrechoquent. Lorsqu’Armand Jalut développe une peinture aux accents légèrement kitsch pour sublimer, dit-il, « par le style d’un réel assez bas », une certaine dureté de la réalité sociale alliée à une réflexion sur les symboles de pouvoir est amenée par les tableaux de Guillaume Bresson et les vidéos de Mohamed Bourouissa. Plusieurs types de questionnements émergent, qui pour beaucoup ont trait à l’instabilité et bien plus encore au doute. Alexandre Singh développe des arborescences d’images qui composent presque un nouveau langage en transformant certaines habitudes visuelles. Vincent Ganivet empile des parpaings dans des structures fragiles et presque bancales proches de l’absurde, quand Duncan Wylie figure la ruine dans ses tableaux, sans toutefois stopper net l’action.
Le doute est également temporel quand resurgissent les formes, que l’on dirait archaïques, d’un artisanat traditionnel péruvien dans un tapis de Dewar et Gicquel. Ou lorsque les artistes agissent en archéologues, formulant des hypothèses à partir de bribes infimes comme le font Louise Hervé et Chloé Maillet, ou quand Cyril Verde et Mathis Collins exposent des objets issus de recherches autour du monument pour un huitième puits artésien foré à Paris au XIXe siècle. De par la variété de ses propositions et des artistes qui les émettent, « Dynasty » ne se pose pas telle la définition d’une identité nationale, qui dans le champ de l’art contemporain d’aujourd’hui n’a plus vraiment de sens, mais constitue un éclairage sur une génération en formation, une génération visiblement marquée par le doute.
Jusqu’au 5 septembre, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h ; Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, 75116 Paris, tél. 01 47 23 54 01, www.palaisdetokyo.com, tlj sauf lundi 12h-24h. Catalogue, éd. Paris Musées, 176 p., 19 euros, ISBN 978-2-7596-0127-1".
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Une génération qui doute
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissariat : Fabrice Hergott, Angeline Scherf, Jessica Castex et Anne Dressen au Musée d’art moderne de la Ville de Paris ; Marc-Olivier Wahler, Daria de Beauvais, Julien Fronsacq et Katell Jaffrès au Palais de Tokyo
- Nombre d’artistes : 40
- Nombre d’œuvres : 80
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°329 du 9 juillet 2010, avec le titre suivant : Une génération qui doute