Présentée cet été à Florence, l’exposition « Le Printemps de la Renaissance », aujourd’hui au Louvre, met en lumière les racines sculptées de la révolution artistique du Quattrocento.
Organisateurs bienheureux de la rétrospective « Desiderio da Settignano », présentée en 2006 et 2007 au Musée du Louvre, au Museo Nazionale del Bargello à Florence, et à la National Gallery of Art de Washington, Marc Bormand et Beatrice Paolozzi Strozzi ont renouvelé leurs vœux pour une exposition à l’ambition d’un degré supérieur. Le conservateur en chef des Sculptures au Louvre et la directrice du Bargello ont travaillé quatre ans durant à dépoussiérer le mythe fondateur de la Renaissance italienne. Habituellement attribué au peintre Masaccio, dont la Trinité à l’Église Santa Maria Novella (1422-1425) offre un effet de perspective vertigineux, la Renaissance italienne ne serait rien sans le rôle essentiel joué par la sculpture. Le Quattrocento voit en effet « deux arts majeurs se [confronter] et se [mettre] à l’épreuve autour du thème de l’espace, du volume, du raccourci perspectif, mais aussi des valeurs morales ». « Le Printemps de la Renaissance » se lit tel un cours magistral sur la prééminence des sculpteurs dans la Florence du début du XVe siècle, à la différence que les œuvres séminales, habituées à se côtoyer dans les livres, sont ici présentes en chair et en pierre.
Déploiement de sculptures fondatrices
Organisée en collaboration avec le Musée du Palazzo Strozzi, à Florence, l’exposition du Louvre brille autant par sa clarté de lecture que par la quantité de chefs-d’œuvre réunis, dans un parcours qui égrène une dizaine de thèmes majeurs. À commencer par une date clé, 1401, année du concours pour orner la seconde porte du baptistère Saint-Jean, à Florence. Pierre angulaire de tout cours d’histoire de l’art sur la Renaissance, les deux reliefs en bronze illustrant Le Sacrifice d’Isaac, soumis par les jeunes Lorenzo Ghiberti et Filippo Brunelleschi offrent un témoignage inestimable de cette compétition. Face à la composition dramatique et audacieuse de Brunelleschi, l’ensemble encore ancré dans le gothique tardif de Ghiberti avait cependant remporté le concours. Cet affrontement, ou plutôt cette saine émulation entre artistes marque le début officiel de la Renaissance selon la doxa. Dont acte au Louvre, avec une jolie touche finale : Le Tireur d’épine, marbre romain emblématique dont s’est inspiré Brunelleschi pour l’une de ses figures, et le Torse de centaure sur lequel Ghiberti a calqué la silhouette d’Isaac, sont venus de Modène et New York pour compléter le tableau.
L’Antique, source majeure de réappropriation stylistique pour Florence, est ainsi très présente au Louvre, conformément au souhait des commissaires de ne jamais perdre de vue le contexte de création. Dans la République florentine, qui aspire au même rayonnement que son illustre modèle romain, le travail de recherche et d’inventaire du passé antique de la cité occupe les esprits et passionne les collectionneurs. Les artistes ont en permanence sous les yeux des exemples de la statuaire classique, et le tournant de la Renaissance consistera à adapter cette recherche d’idéal au style gothique international qui vit ses dernières heures.
La grâce exhaltée
La prospérité de la ville, étayée par sa stabilité économique et sa liberté politique, permet la multiplication des chantiers architecturaux et des commandes d’œuvres décoratives. Tandis que Brunelleschi dépasse les frontières de l’architecture, en élaborant la coupole de la cathédrale Santa Maria del Fiore (dont la maquette en bois est ici présentée), une fine équipe de sculpteurs (Donatello, Ghiberti, Nanni di Banco, Michelozzo…) réinvente la statuaire religieuse, plus gracieuse, dynamique et expressive que jamais. La peinture ne tardera pas à s’en inspirer, à l’image de la série de fresques en trompe l’œil d’Andrea del Castagno peintes pour la villa Carducci à Soffiano, représentant des hommes et des femmes illustres telles des statues polychromes placées dans des niches. Dans ce climat humaniste, la théorie finit par s’en mêler. Lorsque Leon Battista Alberti livre dans De Pictura (1435) une analyse scientifique de la perspective, Donatello avait déjà mis ces principes en pratique. Son chef-d’œuvre absolu, le bas-relief Saint-Georges et le dragon (v. 1417) centralise le point de fuite et traite la surface du marbre avec une finesse incomparable. Cette technique du stiacciato, par laquelle le marbre semble fondre au contact du motif, préfigure le sfumato de Léonard.
Le christianisme étant une donnée essentielle de l’équation, la particularité de la Renaissance est l’adaptation du style antique aux sujets religieux. Le vaste champ de sujets bibliques rebattus gagne une fraîcheur et une sensualité insoupçonnées, à l’image somptueuse de la Vierge à l’enfant en marbre (v. 1420-1425) de Donatello, un prêt exceptionnel du Bodes Museum de Berlin. Ce bas-relief illumine la section dévolue aux madones, et la série en terre cuite polychrome de Luca della Robbia apporte une chaleur bienvenue à une scénographie peu inspirée, pour ne pas dire scolaire – si elle met en avant les qualités esthétiques des œuvres, elle traduit mal la réjouissance esthétique qu’offrait cet âge d’or. Le parcours s’achève sur une saisissante galerie de bustes en marbre qui témoignent du glissement progressif des commandes du monde institutionnel vers la sphère privée, du sacré vers le profane. En quelques dizaines d’années, les visages fermés des saints des églises ont été supplantés par des portraits expressifs, au service de leur modèle. En art comme dans les textes, la Renaissance met l’humain au centre des préoccupations.
Commissaires : Marc Bormand, conservateur en chef au département des Sculptures, Musée du Louvre ; Beatrice Paolozzi Strozzi, directrice du Museo Nazionale del Bargello, à Florence ; avec la collaboration d’Ilaria Ciseri, directrice adjointe du Museo Nazionale del Bargello
Organisation : Collaboration entre le Musée du Louvre et la Fondation Palazzo Strozzi, à Florence
Scénographie : Anne Philipponnat et Michel Antonpietri
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Un sacrifice a fait le printemps
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 6 janvier 2014, Musée du Louvre, 34, quai du Louvre, 75001 paris, tél. 01 40 20 53 17, www.louvre.fr, tlj sauf mardi 9h-17h45, les mercredi et vendredi 9h-21h45. Catalogue, coédité par le musée et Officina Libraria, 400 p., 45 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°398 du 4 octobre 2013, avec le titre suivant : Un sacrifice a fait le printemps