Après vingt-deux ans d’existence, le Mois de la Photo doit s’offrir un coup de jeune en marquant les tournants à la fois techniques et professionnels (les deux allant de pair) qui caractérisent aujourd’hui la photographie. À un moment où s’accentue le brouillage des cartes du « photographique » par les nouvelles technologies, la thématique tripartite à laquelle le Mois reste fidèle explore cet écartèlement entre la « résistance » du reportage et les nouveautés systématiques de la « photographie de mode ».
Entre les trois thèmes (“Mode : entre-deux” ; “Femmes d’images” ; “Émergences, résurgences, résistances”, une sélection internationale) circule, on l’aura compris, la référence sous-jacente mais constamment affirmée de la femme, y compris dans le choix de trois directrices artistiques, une pour chaque thème. “Femmes d’images” sera sans doute la partie la plus lisible de ce festival, là où l’on fera le plus de découvertes, tant on a peu insisté, par le passé, sur la difficulté pour les femmes de devenir photographes, de se faire accepter en tant que telles et surtout d’être aussi bien considérées que leurs homologues masculins. Le substantif “photographe” ayant une terminaison neutre, on n’aura aucun mal désormais à manifester par l’article “le” ou “la”, la place de la femme en photographie. Et d’abord, à travers de grandes aînées (mais on saura gré à la directrice artistique d’avoir convoqué essentiellement une nouvelle génération pour en montrer la vitalité). Lisette Model, encore peu connue chez nous, a marqué de sa grande originalité et indépendance la création américaine des années 1940 et 1950, par des images plus libres encore des canons que celles d’Evans ou de Frank (Running Legs) ; Inge Morath, disparue en 2002, a pratiqué pendant tout le demi-siècle, mais reste connue surtout par ses livres, dont Guerre à la tristesse (1956). D’origine autrichienne, installée à New York, elle photographiait encore Ground Zero en septembre 2001. La troisième “grande dame”, Mary Ellen Mark, a été plus présente dans la presse par ses sujets sociaux où la misère, le désespoir, les illusions et les déceptions de la société américaine sont stigmatisés à travers des vies de femmes. Mais les reportages de Françoise Spiekermeier en Tchétchénie et d’Alexandra Boulat en Bosnie montreront que les hommes ne sont plus titulaires des zones de combat, même si on attend les femmes dans un registre d’analyse plus intime ou plus introspectif : Gitta Seiler auprès de jeunes femmes d’un asile de Saint-Pétersbourg, Carole Bellaïche ou Catherine Gfeller dans un rapport particulier au portrait, Corinne Mercadier et Elizabeth Lennard avec des travaux plus distanciés sur les objets quotidiens ou les instants de présence corporelle. Plusieurs livres ou catalogues ponctuent ces découvertes.
Ce regard prospectif se prolonge dans la sélection internationale, assez disparate – c’est la loi du genre, dès lors que l’on sort des usages occidentaux balisés –, mais où apparaissent encore quelques travaux féminins (Bertien van Manen, Alejandra Figueroa, Zuzanna Janin). Mais les deux expositions phares de cette sélection sont consacrées à deux photographes (masculins) de l’Europe de l’Est. Le nom de Max Penson, photographe de l’Union soviétique, est peu connu, bien qu’il puisse être associé à ceux de Rodtchenko ou d’Eisenstein. Actif à Tachkent depuis 1923, il passe par toutes les phases douloureuses qu’impose le régime stalinien jusque dans son Ouzbékistan, où il est interdit de travail en 1948. Ses archives, ou ce qu’il en reste, réapparaissent, et, du moins, peut-on en attendre une meilleure connaissance du continent russe. Né en 1943, le Hongrois Imre Benkö, quant à lui, a connu principalement la détente politique et la chute des frontières ; moyennant quoi il est attentif aux changements qui se produisent à sa porte, dans un Budapest chamboulé sous la pression économique.
Entre art et publicité
Quant au “troisième” thème (articulant mode et photographie, ce qui, sans doute, ne peut pas être présenté comme ouvertement primordial), il est à l’évidence tourné vers l’image de la femme, même si elles sont peu nombreuses à se retrouver photographes (Sarah Moon, Françoise Huguier, Sophie Delaporte, dans cette sélection). Le terme “entre-deux” fait sans doute référence à l’exposition récente au Musée de Winterthour, “La photographie de mode entre l’art et la commande”. Entre art et publicité, c’est effectivement le dilemme et l’oscillation propre à la photographie de mode : être subordonnée à une commande et à des exigences de démonstration ou d’évocation, s’en acquitter avec le plus d’élégance, d’originalité ou de modernisme. Le caractère éphémère de tels critères n’empêche nullement l’inscription de ces photographies dans l’histoire de cet art : depuis Steichen, De Meyer ou Hoyningen-Huene, la photographie de mode est l’un des moteurs du changement dans le domaine, presque un laboratoire à certaines époques. On peut gager qu’elle l’est encore aujourd’hui à travers la nouvelle donne technologique de l’image. On pourra le vérifier dans l’une des importantes manifestations du Mois, à la Maison européenne de la photographie, consacrée au styliste Yohji Yamamoto (“May I Help You”), autour de Nick Knight, Sarah Moon, Peter Lindbergh ou Paolo Roversi – également présent à la galerie Camera Obscura – ; il est bien logique en effet que l’on s’intéresse à l’image globale qu’une maison de couture peut ou veut donner de sa création par l’entremise de nombreux photographes, nommément choisis. Dans le même lieu, “Citizen K International” présente le point de vue du bout de la chaîne productive, celui de la publication des images par un magazine, et de la restructuration des messages, à l’usage des lecteurs. Au Musée de l’Histoire de France, ce sont les Archives nationales qui explorent leur fonds de photographies de mode des années 1950-1970 et complètent le panorama par une ambitieuse “Photographie de mode russe”, à côté d’une exposition personnelle de Quentin Bertoux, un créateur des plus sensibles, et une autre de Pierre Gayte. Et, comme à son habitude, Michèle Chomette détricote le consensus de l’entre-deux annoncé, en le retournant en “Sens dessus dessous”, une interrogation sur la notion de mode. En quoi une autre galeriste, Françoise Paviot, lui répond par un “Plis et drapés”. Des démonstrations d’indépendance féminine qui ne devraient froisser personne.
Novembre, divers lieux d’expositions, événements ; points d’information : Fnac Forum des halles, niveau –1, 1/7 rue Pierre-Lescot, 75001 Paris, tél. 01 40 41 80 80 et Maison européenne de la photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris, tél. 01 44 78 75 26.
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Un Mois résolument féminin
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°158 du 8 novembre 2002, avec le titre suivant : Un Mois résolument féminin