Le segment des collections d’entreprises est un marché à fort potentiel pour les galeries mais qui se développe encore mollement.
Les achats en provenance des entreprises, grandes ou petites, représentent-ils un volume important pour les galeries ? Pas encore pour Anne-Claudie Coric, directrice de la galerie Templon pour qui « en France, les entreprises constituent une part infime [des] acheteurs. On vend à des entreprises, mais plutôt étrangères, américaines ou suisses par exemple », précisant que : « malgré tous les effets d’annonce et les lois sur le mécénat, cela ne représente pas plus d’1 % de notre chiffre d’affaires ».
Mais pour Didier Brousse, fondateur de la galerie spécialisée en photographie Camera Obscura (un médium vers lequel se tournent souvent les entreprises), « lorsque quelque chose se produit, cela peut être particulièrement intéressant », expliquant qu’une commande d’une entreprise japonaise pour un ensemble de photographies sur les réalisations de Le Corbusier par Lucien Hervé a grandement contribué à l’ouverture de sa galerie en 1992-1993. Se tourner vers un galeriste, c’est d’abord « la possibilité d’avoir accès à tout le travail d’un artiste » précise Didier Brousse, lui qui, pour cette commande particulière, a pu extraire un ensemble cohérent d’une centaine de photographies des archives du photographe français. Pour une entreprise, s’adresser à une galerie peut également conduire à une collaboration pour des commandes spécifiques. Selon Nathalie Obadia des artistes peuvent ainsi « réaliser des projets ambitieux qu’ils ne pourraient pas faire ou moins facilement faire avec une institution ». C’est en effet à ce niveau que se hissent parfois les entreprises pour Frédérique Valentin, de la galerie Chez Valentin : « Le poids économique réel reste marginal par rapport aux collectionneurs particuliers, mais commence à peser face aux institutions qui ont peu de moyens et ont du mal à acheter. » Dans le cadre de commandes, le groupe Carlyle Real Estate a fait appel à la galerie Obadia et Carole Benzaken, ainsi qu’à la galerie Templon et l’artiste Gérard Garouste pour des réhabilitations d’immeubles parisiens. Almine Rech, de son côté, a « travaillé » avec PSA et James Turrell pour une installation lumineuse de son centre de design à Velizy. On le voit, si les artistes de la scène française sont sollicités, les entreprises ne semblent pas se tourner exclusivement vers eux.
Une démarche qui doit être professionnelle
Les galeristes qui dialoguent avec les entreprises apparaissent comme un maillon essentiel dans la chaîne de diffusion et de production et sont les interlocuteurs privilégiés, même si l’envie de s’adresser directement à un artiste existe et est toujours présente. Pour Renos Xippas « personne n’oserait faire cela [contacter directement les artistes] à l’étranger, les entreprises respectent les règles du jeu ». Mais cette tentation, qui tend à diminuer, traduit avant tout une absence d’automatismes puisque ces relations ne s’inscrivent pas en France dans une longue tradition. Comparée à l’Allemagne, la Belgique, la Suisse, l’Espagne, l’Italie et les États-Unis, la France a du retard. La constitution d’une collection, ou le simple fait de faire l’acquisition d’œuvres d’art au nom de son entreprise et de les installer dans ses bureaux, est généralement le fait d’une initiative individuelle ; très souvent le chef d’entreprise qui, lui-même collectionneur, a une sensibilité ou une passion pour l’art. « Pour que cela marche et qu’il ne soit pas simplement question de décorer les locaux, il faut un véritable engagement », selon Almine Rech, « une vision définie » pour Anne-Claudie Coric. Pour les quelques entreprises qui font le choix de s’y investir, LVMH, la Société Générale, Neuflize, Carmignac ou les Galeries Lafayette, « l’engagement s’accompagne réellement d’une revendication » constate Georges-Philippe Vallois. Les collections de ces entreprises exigeantes sont pour Michel Rein, « bien montrées et bien documentées ». Pour Thaddaeus Ropac, « s’il n’y a pas autant d’acteurs en France qu’à l’étranger, le niveau de professionnalisme de certaines entreprises dans leur engagement pour l’art les met à un très haut niveau ». Si bien que certaines entreprises « ont su acquérir une place, devenir partie intégrante du circuit de l’art contemporain, avec suffisamment de générosité pour que cela serve leur communication, mais également les artistes », précise Georges-Philippe Vallois en évoquant également l’entreprise Ricard qui, sans constituer de collection, est un important acteur de soutien et de promotion de la scène artistique française via sa Fondation.
Communication et sensibilisation
Parallèlement au levier fiscal — encore souvent considéré comme pas assez avantageux, la communication semble une motivation indéniable pour les entreprises « qui ont compris qu’une image de créativité, de qualité, de bon goût passe par l’art contemporain » selon Renos Xippas. Pourtant l’image d’une entreprise qui collectionne l’art a encore du mal à passer auprès du grand public. Il paraît en effet délicat en tant de crise économique de justifier des achats d’œuvres d’art, même si cela représente une part très faible du budget d’une grande entreprise – et cela est aussi vrai pour une PME. Pour Frédérique Valentin : « la difficulté peut provenir de l’éloignement entre la scène contemporaine et le grand public. L’art contemporain a souvent une image liée à l’argent ». Un point sur lequel Chantal Crousel insiste en évoquant « un rapport à l’argent qui peut paraître irrationnel aux employés ». Cela s’expliquerait par un manque d’initiation et de sensibilisation à l’art contemporain du grand public : « les gens pensent trop souvent que ce n’est pas pour eux, que l’on dépense l’argent dans des choses qui ne leur apportent rien. Ils n’en éprouvent pas un plaisir de cohabitation ». Or à l’étranger, de nombreux témoignages font état d’une satisfaction et d’une certaine fierté des salariés. Une prise de conscience et une plus grande compréhension pourraient selon Chantal Crousel, passer par le biais de commandes qui font appel au savoir-faire technique des employés d’une entreprise, comme ce fut le cas lors de sa collaboration avec Renault et Jean-Luc Moulène pour « Body » et « Body versus Twizy ». Cette fois, l’entreprise a souhaité acquérir les œuvres, mais c’est loin d’être toujours le cas.
Pour Georges-Philippe Vallois, « les entreprises pourraient être un relais extrêmement important pour nous, puisque à travers leur réseau de clients, c’est une façon de diffuser l’art contemporain ». Michel Rein confirme cet effet de levier « cela devient un enjeu pour les artistes et pour nous [galeristes] d’être représentés dans ces fondations ». Si « en termes de chiffre d’affaires, l’impact des entreprises reste marginal, la notoriété et ce que nous apporte cette relation avec l’entreprise dépassent largement ce que peut représenter le chiffre d’affaires des ventes réalisées ». En résumé, les collections d’entreprises sont un marché d’avenir pour les galeristes, mais il y a encore du chemin à parcourir.
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Un marché encore étroit pour les galeries
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°402 du 29 novembre 2013, avec le titre suivant : Un marché encore étroit pour les galeries