Le galeriste américain Jeffrey Deitch a été nommé directeur du Los Angeles Museum of Contemporary Art
LOS ANGELES - La décision du conseil d’administration du Los Angeles Museum of Art (MoCA) est unanime : un an après la démission de son directeur Jeremy Strick, le marchand Jeffrey Deitch reprendra les rênes du musée dès le 1er juin. Une tâche difficile lorsque l’on sait les perturbations traversées par l’institution exsangue, sauvée in extremis par le milliardaire philan-thrope Eli Broad (lire le JdA no 296, 6 février 2009). En nommant une personnalité du marché, le MoCA se distingue volontairement du Metropolitan Museum of Art, à New York, qui nommait, il y a un an, l’un de ses conservateurs pour remplacer Philippe de Montebello. Le musée le plus respecté et le plus conservateur du pays souhaitait alors montrer l’exemple en refusant d’être dirigé par un administrateur ou un businessman à la Thomas Krens. La Fondation Guggenheim s’était d’ailleurs séparée de lui quelques mois plus tôt. Influent spécialiste de l’art contemporain, Jeffrey Deitch connaît son sujet comme il connaît les affaires. Il avoue même avoir dirigé son espace new-yorkais, Deitch Projects, comme un centre d’art. Mais il ne possède quasiment aucune expérience muséale à proprement parler.
Si cette nomination a été officiellement accueillie avec un sourire figé par la profession — personne n’a intérêt à se froisser avec Eli Broad qui a lourdement pesé sur ce choix —, les réactions dans la presse et la blogosphère américaines sont nettement plus réservées. Le critique du Los Angeles Times, Christopher Knight, résume les choses ainsi : « Pourquoi le conseil d’administration du Museum of Contemporary Art n’aime-t-il pas les musées d’art ? » Personne ne remet en question l’audace et le flair de Deitch, mais la crainte d’un conflit d’intérêt est légitime. « Imaginez que le MoCA monte une exposition de groupe. Imaginez que l’un des artistes soit méconnu, et que son invitation dans une exposition de l’un des meilleurs musées d’art contemporain des États-Unis représente une promotion importante. Imaginez ensuite que Deitch décide de revendre trois œuvres de cet artiste de sa propre collection », s’inquiète Tyler Green, du Arts Journal. Voire qu’il reprenne son rôle de marchand à la fin de son contrat, ce que l’intéressé nie en assurant qu’il se consacrera à l’écriture. Son contrat stipule qu’il doit suivre les recommandations de l’Association des directeurs de musées d’art et de l’Association américaine des musées, et de ce fait cessera toute activité commerciale en fermant ses trois espaces new-yorkais. Mais Deitch se réserve le droit de céder des œuvres mineures de sa propre collection en « cas de besoin », ce en suivant une procédure définie avec le MoCA : le musée aurait la priorité sur l’achat. Deitch s’est, de plus, engagé à publier la liste détaillant sa collection personnelle. Chacun de ses gestes sera donc sévèrement scruté. S’il arrive à remettre l’institution à flots, il ne manquera pas « d’être salué comme un héros », suppute Ford W. Bell, président de l’Association américaine des musées, dans le New York Times.
Mélange des genres
Le MoCA sera-t-il préservé ? Ses administrateurs ont non seulement exprimé leur méfiance vis-à-vis du monde scientifique, mais ils sont aussi allés au bout du cynisme en agissant comme les dirigeants d’une maison de ventes qui embauchent certains « spécialistes » uniquement pour leur nom de famille et leurs relations — Deitch conseille personnellement les collectionneurs Eli Broad, Dakis Jouannou et David Geffen, dont le soutien manque cruellement au MoCA. Une stratégie qui peut se révéler contre-productive : « Les artistes liés à des marchands rivaux seront-ils aussi bien accueillis au MoCA que ceux du groupe élu par Deitch ? Les collectionneurs qui ne sont pas liés à Deitch le marchand refuseront-ils de se lier à Deitch le directeur ? Les collectionneurs, qui ont toujours attendu quelque chose de la part de Deitch en échange de leur argent, pourront-ils espérer que les œuvres et les artistes de leurs collections aient la primeur ? », s’interroge Lee Rosenbaum, bloggeuse et critique au Wall Street Journal. Si Jeffrey Deitch est réputé intègre, on se doit maintenant de lui laisser l’opportunité de redonner vie au MoCA. Mais il en va de l’avenir des musées que ce cas ne fasse pas jurisprudence.
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Un marchand à la tête du MoCA
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Un marchand à la tête du MoCA